Le syndrome inflammatoire multisystémique est une complication rare mais grave principalement décrite chez les enfants et les adolescents après une infection par le SRAS-CoV-2; on peut aussi l’observer chez les personnes plus âgées.
Après un rétablissement suite à une infection au SRAS-CoV-2, les médecins devraient soupçonner le syndrome inflammatoire multisystémique de l’adulte lorsqu’un patient présente une fièvre prolongée et une atteinte pluriorganique.
Une élévation des taux de marqueurs inflammatoires appuie le diagnostic.
L’instauration rapide d’un traitement immunomodulateur permet de prévenir les complications graves.
Un homme de 60 ans a consulté aux urgences pour un léger essoufflement, une grande fatigue, une anorexie et de la fièvre allant jusqu’à 40 °C depuis 5 jours. Il a également mentionné un œdème des ganglions lymphatiques au côté gauche du cou, rentré dans l’ordre 2 jours avant qu’il ne se présente aux urgences. Quatre semaines auparavant, il avait reçu un résultat positif au test de dépistage du SRAS-CoV-2, confirmé par PCR (réaction en chaîne de la polymérase). Il n’avait aucune comorbidité connue et n’avait pas été vacciné contre le SRAS-CoV-2.
Le patient avait une fréquence cardiaque de 150 battements par minute, avec fibrillation auriculaire d’apparition récente. Sa tension artérielle était de 106/67 mm Hg et sa saturation en oxygène à l’air ambiant était normale. L’examen respiratoire a montré une bonne pénétration de l’air dans les deux poumons, sans crépitements, râles ou sibilances à l’auscultation. Il présentait une conjonctivite bilatérale non purulente (figure 1A), un érythème sur la langue et une hypertrophie de celle-ci (figure 1B), un œdème à godet bilatéral et un érythème à la portion distale des orteils aux deux pieds (figure 1C), sans vésicules, signes érosifs, croûtes, fissures, chaleur, enflure ni sensibilité. La radiographie pulmonaire a montré une opacification au lobe inférieur droit. Un électrocardiogramme a révélé la présence de fibrillation auriculaire avec réponse ventriculaire rapide et une anomalie diffuse non spécifique du segment ST-T (figure 2). La tomodensitométrie (TDM) du thorax avec agent de contraste n’a révélé aucune embolie pulmonaire, mais a montré une hypertrophie du côté droit du cœur et un début d’œdème pulmonaire.
Le patient a été admis, et on a commencé un traitement empirique par pipéracilline-tazobactam pour une pneumonie bactérienne possible surimposée au tableau de l’infection au SRAS-CoV-2. Les analyses de laboratoire initiales ont montré un taux élevé de protéine C-réactive, de D-dimères et de ferritine, ainsi qu’une neutrophilie (tableau 1), signe d’une inflammation aiguë. Son taux de troponine était élevé et il avait également un taux substantiellement augmenté de peptide B-natriurétique. Des prélèvements pour des hémocultures, une culture d’urine et un panel viral respiratoire ont été effectués et ont donné des résultats négatifs. Le patient a également obtenu des résultats négatifs au dépistage du VIH et de l’hépatite C, mais était porteur d’anticorps anti-VHB. Les analyses de dépistage des maladies auto-immunes effectuées avant l’instauration du traitement étaient négatives. Le dosage sérologique des IgG pour la COVID-19 s’est révélé positif. Un échocardiogramme transthoracique, effectué avant l’instauration de la corticothérapie, a montré un rythme sinusal normal et une fonction systolique et diastolique ventriculaire droite et gauche normale avec régurgitation mitrale légère à modérée. On ne disposait d’aucun échocardiogramme antérieur avec lequel comparer ces observations.
Étant donné les antécédents d’infection récente au SRAS-CoV-2 chez ce patient, ses épisodes de fièvre sans symptômes localisés, avec anomalies de la muqueuse buccale, lymphadénopathie cervicale, conjonctivite et anomalies aux membres inférieurs, nous avons soupçonné un syndrome post-COVID-19 inflammatoire. Le tableau était similaire à celui d’une complication rare mais grave signalée chez des enfants et des adolescents ayant contracté le SRAS-CoV-2, appelée syndrome inflammatoire multisystémique de l’enfant (SIME), et à celui de la maladie de Kawasaki (tableau 22–4). Les équipes de rhumatologie pédiatrique et adulte responsables du patient ont convenu qu’il répondait aux critères préliminaires des CDC (Centers for Disease Control and Prevention) du syndrome inflammatoire multisystémique de l’adulte (SIMA) et de la maladie de Kawasaki, en plus de présenter plusieurs caractéristiques du SIME.
Nous avons commencé à administrer au patient de l’acide acétylsalicylique (AAS) et de la méthylprednisolone et avons cessé les antibiotiques. Le lendemain, il a reçu des immunoglobulines intraveineuses (IgIV). En l’espace de 24 heures, il a fait état d’une amélioration substantielle de son manque d’énergie, de son essoufflement et de son anorexie, avec résolution documentée de la fièvre, amélioration de la conjonctivite (figure 3A) et diminution de l’érythème sur la langue (figure 3B), en plus d’une réduction des marqueurs inflammatoires (tableau 1). L’électrocardiogramme de contrôle s’est révélé normal (figure 4). Le patient a reçu son congé 5 jours après l’admission. Quatorze jours après son congé et à nouveau lors d’un suivi au bout de 6 semaines, son état continuait de s’améliorer sur les plans clinique et biochimique (tableau 1).
Discussion
Depuis le début de la pandémie de SRAS-CoV-2, on a publié de nouvelles données sur la trajectoire de la maladie. Parmi les exemples de complications, mentionnons la thromboembolie veineuse, la maladie cardiovasculaire, l’atteinte rénale ou hépatique aiguë, les symptômes neurologiques et le syndrome post-COVID-195. Le syndrome inflammatoire multisystémique de l’enfant a d’abord été décrit en avril 2020 sous la forme d’un syndrome hyperinflammatoire présentant des caractéristiques semblables à celles de la maladie de Kawasaki2,3,6. En date du 3 mai 2021, 3742 enfants aux États-Unis avaient officiellement reçu un diagnostic de SIME, selon les critères résumés au tableau 2, et 35 décès y avaient été associés7.
En octobre 2020, les CDC ont publié une revue de 27 cas correspondant à la description du syndrome inflammatoire multisystémique chez des adultes4. La définition de cas préliminaire du SIMA est présentée au tableau 2, et les cas décrits à ce jour affectent des patients de moins de 50 ans. À mesure que nous continuons de découvrir le SIMA, il est toutefois prudent de ne pas présumer d’un seuil d’âge pour établir un diagnostic, comme l’illustre le présent cas4,8–10.
De nombreuses questions au sujet du SIMA restent sans réponses. Notre patient n’en a pas présenté les symptômes les plus fréquents, soit l’AVC, le choc ou la dysfonction cardiaque nécessitant une prise en charge dans une unité de soins intensifs4. Cela pourrait s’expliquer par le fait que le spectre de sa maladie était plus bénin ou par la rapidité du diagnostic et des interventions. Plusieurs caractéristiques de ce cas ont rapidement éveillé les soupçons quant au SIMA ou à la maladie de Kawasaki. Notre patient répondait aux critères diagnostiques de la maladie de Kawasaki complète (5 jours de fièvre et 4 des 5 caractéristiques cliniques suivantes: anomalies des membres, conjonctivite, anomalies buccales et lymphadénopathie cervicale; il n’a pas présenté d’éruption cutanée) et du SIME (sauf l’âge). Toutefois, les données récentes sur l’infection au SRAS-CoV-2 et l’âge du patient ont fait du SIMA l’étiologie la plus probable chez ce patient.
L’American College of Rheumatology a publié une revue comparant et mettant en parallèle les caractéristiques du SIME et de la maladie de Kawasaki, et a relevé que 25 %–50 % des patients qui répondaient aux critères du SIME répondaient aussi à tous les critères diagnostiques de la maladie de Kawasaki11. Deux différences entre ces maladies sont la distribution ethnique (incidence de la maladie de Kawasaki plus élevée chez les personnes d’origine japonaise) et l’âge (habituellement moins de 5 ans pour la maladie de Kawasaki, et un éventail plus vaste allant de 3 mois à 21 ans pour le SIME)2,11,12.
On n’a pas encore établi de traitement standard pour le SIMA. L’état de notre patient s’est amélioré en 3 jours avec l’administration de méthylprednisolone à 125 mg/j, puis de prednisone orale à dose moindre, soit 50 mg/j, pendant 3 jours, après quoi on a diminué sa dose de 10 mg/j tous les 3 jours jusqu’au sevrage de la corticothérapie (pour un cycle oral total de 15 jours). Il a reçu 1 g/kg/j d’IgIV pendant 2 jours et 325 mg/j d’AAS par voie orale jusqu’à résolution des symptômes cliniques, soit l’absence de fièvre et le retour à la normale du taux de protéine C-réactive. Ce traitement se basait sur l’opinion d’experts et sur les données les plus récentes au sujet de la maladie de Kawasaki et du SIME2,6,8,11–13. L’American College of Rheumatology recommande une approche séquentielle pour le traitement immunomodulateur du SIME, avec IgIV ou corticothérapie à envisager en première intention11, et l’American Heart Association recommande une dose élevée simple d’IgIV (2 g/kg) pour le traitement de la maladie de Kawasaki2. Même si le patient n’a pas présenté de thrombocytose cliniquement significative, nous avons prescrit un cycle bref d’AAS à dose élevée pour prévenir la thrombose et les anévrismes coronariens11.
Le suivi optimal du SIMA n’a pas encore été établi, mais les experts appuient la surveillance des anévrismes et de la dilatation des coronaires, comme pour le SIME ou la maladie de Kawasaki2,11. Chez les enfants, l’échocardiogramme est la modalité d’imagerie à privilégier pour mesurer le diamètre des coronaires, mais la visualisation des coronaires devient progressivement plus difficile à mesure que le corps croît. On préfère donc la coronarographie par TDM pour la surveillance chez les adultes2. Chez notre patient, la coronarographie a montré une atteinte coronaire tritronculaire, sans sténose cliniquement importante ni anévrismes coronariens ou signes de vascularite des coronaires. Au moment de rédiger ce rapport, nous attendions les résultats de la TDM de contrôle pour visualiser le calibre des coronaires 6 mois après le congé.
Contrairement au SIME, le SIMA ne fait pas partie actuellement des diagnostics qu’il faut obligatoirement déclarer aux autorités sanitaires des provinces ou des États, mais cela devrait être encouragé pour faciliter la recherche et améliorer l’issue de la maladie chez les patients6.
Remerciements
Les auteurs remercient les Drs Glen Hazlewood, Heinrike Schmeling et Kevin Fonseca pour leur opinion et leur expertise lors de la prise en charge de ce cas.
Footnotes
Voir la version anglaise de l’article ici: www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.210232
Intérêts concurrents: Aucun déclaré.
Cet article a été révisé par des pairs.
Les auteurs ont obtenu le consentement du patient.
Collaborateurs: Les deux auteurs ont contribué à la conception du travail, ont rédigé le manuscrit et en ont révisé de façon critique le contenu intellectuel important; ils ont donné leur approbation finale pour la version destinée à être publiée et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.
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