Lorsque j’ai déposé mon fils dans son lit d’enfant, j’ai jeté un coup d’œil à l’ensemble des appareils médicaux et mon regard s’est fixé sur celui de mon mari. Nous pensions tous les deux la même chose: comment allionsnous nous en sortir? Comment allionsnous prendre soin d’un enfant de presque 2 ans, branché à un ventilateur, qui n’a jamais mis les pieds à l’extérieur d’une unité de soins intensifs (USI)? Comment allions-nous prendre la situation en charge sans une équipe de spécialistes accessibles à la pression d’un bouton?
Notre fils était hospitalisé depuis 500 jours. Avant qu’il puisse obtenir son congé, mon mari et moi avons dû suivre une formation intensive sur tous ses soins médicaux et le fonctionnement de ses appareils. Nous avons appris ce que signifient des acronymes comme « PIM » et « PEP » en lien avec son ventilateur; nous avons appris la signification de toutes les alarmes et la manière de résoudre les problèmes qu’elles signalent. Nous avons appris comment lui administrer de l’oxygène et la respiration artificielle à l’aide d’un sac de réanimation tout en appelant le 911 si nécessaire. Cependant, toutes ces connaissances et ces compétences nouvellement acquises étaient bien peu de chose face à l’écrasant sentiment d’angoisse et de peur de ne pas pouvoir y arriver que nous ressentions.
Ce n’était pas une peur irrationnelle. Nous avions déjà commis une erreur lors d’une nuit d’essai. Nous avions emmené notre fils sain et sauf à la maison, mais l’une de ses alarmes ne cessait de sonner et nous n’arrivions pas à trouver ce qui n’allait pas. Cette nuit-là, mon mari et moi nous nous sommes disputés.
« Je ne sais pas quoi faire — toi, le sais-tu? »

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« J’ai essayé tout ce que je sais! Devrionsnous appeler l’hôpital pour demander de l’aide? »
« Non, nous ne pouvons pas faire ça — ils ne nous laisseront plus jamais l’emmener à la maison. »
Des années plus tard, en repensant à cette nuit, je me questionne sur la peur d’échouer qui nous a poussés à hésiter avant d’appeler à l’aide. À l’hôpital, le personnel de l’unité de soins intensifs nous a dit que nous aurions dû immédiatement chercher de l’aide, mais encore plus important, ils nous ont assuré qu’ils étaient là pour nous aider, pas pour nous juger. Jusqu’à ce moment, mon mari et moi n’avions pas réalisé que les médecins comprenaient à quel point il était important que nous vivions à la maison en famille, même accompagnés de tous ces appareils compliqués. Ils avaient confiance en notre capacité de gérer la situation et ils voulaient nous soutenir afin que nous nous prouvions à nous même que nous étions capables de relever ce défi et d’être autonomes. Nos médecins voulaient que nous réussissions à la maison, mais je ne suis pas certaine qu’ils savaient à quoi ressembleraient vraiment la vie à la maison une fois que l’unité de soins intensifs ne serait plus présente pour nous offrir un soutien direct.
Lorsque notre fils a obtenu son congé de l’USI, nous avions une assistance téléphonique 24 heures par jour, 7 jours par semaine, offerte par des inhalothérapeutes formés à l’utilisation de son ventilateur. Si nous avions une question, nous pouvions communiquer avec un spécialiste de garde à l’hôpital. Un infirmier du bureau de santé publique de notre région venait à la maison cinq nuits par semaine pour surveiller notre fils pendant que nous dormions. Mais ce soutien était peu de chose face à l’incertitude qui montait lorsqu’un problème se manifestait. Des années après le retour à la maison de notre fils, mon mari et moi avions toujours les mêmes disputes au sujet du moment où aller chercher de l’aide et à qui nous adresser. Était-ce un problème pouvant facilement être résolu au téléphone? Avaient-ils besoin de le voir? Était-il plus sécuritaire de le garder à la maison, plutôt que de le déplacer vers l’hôpital avec tout son équipement médical dans la voiture? Si nous appelions le 911 ou l’emmenions au service des urgences, recevrait-il les soins de personnes expérimentées avec les enfants comme lui? Nous ne trouvions jamais facilement la réponse et l’anxiété persistait.
Tous ces sentiments, les souvenirs de ces disputes, les longues nuits: ce sont toutes ces expériences qui m’ont fait penser que je serais peut-être en mesure de suggérer des changements sur la façon dont les patients sous ventilateur sont soutenus lorsqu’ils reviennent à la maison. J’ai communiqué avec une équipe de chercheurs qui ont été à l’écoute de mes préoccupations et soucieux de trouver des solutions. Nous avions besoin d’un moyen d’obtenir le soutien essentiel à domicile. Nous avions tous les appareils, nous connaissions les défis pour obtenir de l’aide — nous avions seulement besoin de la permission et de la capacité de communiquer avec les bonnes personnes au moment où nous en avions besoin.
J’aurais pu simplement leur faire part de mon idée et retourner à ma vie d’étudiante, d’épouse et de mère thérapeute. Mais je ne l’ai pas fait. Je voulais apprendre ce qui serait nécessaire pour concrétiser cette idée et de quelle manière trouver les données probantes qui détermineraient la bonne solution. J’espérais aussi qu’ils pourraient apprendre de mon expérience: pourquoi je pensais que cette idée était la bonne, ce qui était important pour les familles comme la nôtre et comment faire en sorte que les enfants comme le mien soient au centre des préoccupations au moment de concevoir une solution. J’en ai appris davantage sur les défis posés par l’obtention de subventions: les contrats, les formalités et les approbations. J’ai été le témoin privilégié de la raison pour laquelle les innovations en soins de santé prennent autant de temps avant d’atteindre le patient.
Comme équipe, nous avons appris qu’il est important de bien faire les choses dès le départ. Intégrer la contribution du patient à la fin du processus, c’est comme essayer de colmater un bateau qui prend l’eau. Vous devez concevoir dès le départ votre solution en fonction des besoins du patient, car cela change tout. Je me souviens d’avoir dit très tôt dans le processus « Vous ne transférez pas vos processus en ligne — vous recréez la façon dont vous prodiguez les soins. Vous ne faites pas la transition d’une réponse aux questions par téléphone vers une réponse par textos — vous soutenez les patients et les familles afin qu’ils aient davantage confiance en leurs capacités et vous fondez un système de soutien reposant sur la technologie. » Jusqu’à maintenant, la préoccupation principale avait été de prodiguer les soins de façon sécuritaire; à partir de ce moment, elle est devenue de trouver la façon pour que les patients et les proches aidants se sentent en sécurité. Cette simple prémisse a eu une influence considérable.
Parfois, je doutais de ma capacité à partager mon point de vue. J’avais été invitée à participer, mais cela ne signifiait pas que je me sentais à ma place. Dès le départ, j’ai justifié la pertinence de ma présence en me présentant comme ceci: « Je suis la maman d’un petit garçon qui est sous ventilateur 24 heures par jour, 7 jours par semaine et je suis étudiante au doctorat recherche en sciences de la santé. » Je sentais que ce double rôle me donnait la crédibilité nécessaire pour partager mes idées. J’ai continué à introduire chaque commentaire par l’expression « du point de vue du parent… ». En partie, j’ai agi ainsi pour alerter les cliniciens sur le fait qu’ils « ne le percevaient peut-être pas ainsi, mais… »; je voulais aussi me protéger d’un jugement négatif si je proposais une recommandation potentiellement mauvaise. Mais surtout, je l’ai fait parce que je voulais m’assurer qu’ils ne rejettent pas ma contribution. Je voulais aussi clarifier que je ne représentais pas une population entière de patients et de proches aidants. J’ai reconnu mon expérience en tant que femme cis, mariée et mère d’un enfant unique. Je n’étais pas une patiente; je n’étais pas la proche aidante d’un conjoint ni une mère monoparentale. J’étais une personne avec une expérience vécue qui avait accès à une équipe qui voulait bien l’écouter. Je voulais ouvrir la porte aux histoires des patients et la maintenir ouverte pour que d’autres puissent suivre.
Je ne crois pas que nous puissions corréler le succès ou l’échec du programme LIVE (Long-Term In-Home Ventilation Engagement) avec l’une ou l’autre de mes suggestions, mais je peux reconnaître certaines de mes recommandations dans le produit final. Nos sentiments d’incertitudes ont transparu dans l’intervention clinique: nous nous assurons maintenant que les patients aient la permission de communiquer avec leur équipe clinique selon leurs propres termes, de demander de l’aide sans être jugés. J’ai senti qu’on était à mon écoute et qu’on m’a entendu; on a examiné mes suggestions avec attention et on en a débattu. J’ai été témoin du processus du début à la fin et j’ai observé les difficultés qui mènent aux compromis dans le produit final. J’en suis fière et peut-être qu’il s’agit de la seule façon de mesurer si ma participation a été un succès.
Est-ce que j’ai senti que j’ai amélioré la situation? Est-ce que le résultat a valu le temps que j’y ai passé? Ai-je senti que je faisais partie de l’équipe? Je peux répondre « oui » avec assurance. Mais mon cas est propre à ma situation. Si j’avais un niveau de scolarité différent ou que je ne comprenais pas le jargon de la recherche, est-ce que l’équipe de recherche m’aurait tout de même accueillie parmi eux? Auraient-ils investi le temps nécessaire à m’enseigner les compétences dont j’avais besoin pour m’impliquer? Si je ne pouvais pas me permettre de participer aux rencontres comme une bénévole non rémunérée, auraient-ils été prêts à payer ma contribution? De mon point de vue, je réponds « oui », j’ai fait changer la donne. Mais mon point de vue était limité à ce projet. Il revient à la prochaine équipe de recherche de m’inviter, ou d’inviter mes homologues, à se joindre à la conversation. C’est à eux de m’intégrer, de me payer ou d’utiliser ma contribution. Il est beaucoup plus facile pour eux d’animer un groupe de discussion, d’offrir une carte-cadeau de 10 $ à toutes les personnes participantes et de ne pas avoir à expliquer pourquoi leurs contributions n’ont pas été retenues.
Nous savons qu’intégrer les points de vue des patients et des familles est bon pour la recherche. Cependant, la manière dont nous faisons participer les patients est en constante évolution. Introduire une nouvelle voix dans un processus de recherche qui est demeuré inchangé depuis des décennies est compliqué. Le changement implique de revoir les modèles de financement, les pratiques de recrutement, les mesures incitatives et la façon dont les personnes perçoivent le rôle que le patient et la famille jouent en médecine. Cela signifie de mesurer les résultats des interventions en santé afin d’intégrer, de cultiver et d’accorder de la valeur au point de vue du patient et de la famille. Est-ce que tous ces changements en valent la peine? Voilà tout le défi de la participation des patients.
Footnotes
Voir la version anglaise de l’article ici: www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.210457
Cet article a été révisé par des pairs.
Remarque: Le présent article est une réflexion sur le rôle consultatif du patient et de la famille en recherche et innovation en matière de santé. Afin d’en apprendre davantage sur l’intervention qui a été élaborée à la suite de ce partenariat, consultez Amin et al., « A virtual care innovation for home mechanical ventilation », CMAJ 2021;193:E607-11. doi:10.1503/cmaj.202584.
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