Un homme de 59 ans est venu consulter au service des urgences pour de la fièvre et des frissons persistant depuis 6 semaines, soit depuis qu’on lui avait diagnostiqué une thrombose veineuse profonde (TVP) symptomatique dans la veine tibiale postérieure droite. Au cours de cette nouvelle consultation, le patient a indiqué chercher ses mots et avoir de légers maux de tête depuis une semaine. Il n’a signalé ni douleur thoracique, ni nausées, ni perte de conscience. Comme il avait été traité pour un carcinome épidermoïde de la langue 2 ans plus tôt, il suivait toujours l’anticoagulothérapie prescrite pour sa TVP distale (rivaroxaban, 20 mg/j).
Exception faite d’une température de 38,1 °C, les signes vitaux du patient étaient normaux à l’examen physique. Un souffle holosystolique évalué à 3/6 était audible à l’auscultation cardiaque, en particulier à l’apex. L’examen neurologique n’a révélé qu’une légère aphasie de Broca. L’examen vasculaire des extrémités était sans particularités. Aux premières analyses sanguines, la numération leucocytaire était de 4,4 × 109/L (plage normale 4,8–10,8 × 109/L), le taux d’hémoglobine, de 131 g/L (plage normale 140–175 g/L), la vitesse de sédimentation érythrocytaire, de 17 mm/h (valeur normale < 10 mm/h) et le taux de créatinine, de 92 μmol/L (plage normale 49–93 μmol/L). La concentration des enzymes hépatiques et des électrolytes était normale. Deux hémocultures ont été réalisées.
Quel diagnostic neurologique doit-on éliminer chez ce patient?
AVC hémorragique
AVC cardioembolique ou embolie paradoxale
Infection du système nerveux central
Métastases cérébrales
Toutes ces réponses
La réponse est « e ». Les antécédents de cancer du patient et sa récente TVP ont suscité des inquiétudes quant à la possibilité de métastases cérébrales ou d’embolie paradoxale. Une endocardite infectieuse était également à envisager étant donné la présence concomitante de fièvre, d’un nouveau souffle cardiaque et d’aphasie. Une embolie septique aurait pu mener à un AVC ischémique ou hémorragique, à une méningite ou à un abcès cérébral, et n’aurait pas pu être prévenue par l’anticoagulothérapie prescrite pour la TVP.
Quel autre examen devrait être demandé d’urgence?
Ponction lombaire
Tomodensitométrie cérébrale avec et sans agent de contraste
Deux autres hémocultures faites au moins 1 heure plus tard
Échocardiographie transthoracique
Échocardiographie transœsophagienne
La réponse est « b ». Bien que les examens des réponses « c, d et e » aient été indiqués, la tomodensitométrie cérébrale était l’examen le plus urgent, le patient présentant des signes neurologiques aigus alors qu’il était sous anticoagulothérapie. L’angiotomodensitométrie peut mettre en évidence une occlusion artérielle proximale ou un anévrisme mycotique intracrânien1,2. Dans ses lignes directrices publiées en 2015, l’American Heart Association (AHA) recommande un examen d’imagerie vasculaire cérébrale chez tous les patients potentiellement atteints d’une endocardite infectieuse qui présentent des symptômes neurologiques1. L’angiotomodensitométrie, l’angiographie par résonance magnétique et l’angiographie numérique avec soustraction peuvent être utilisées lorsqu’on craint un anévrisme intracrânien, et elles devraient être envisagées en cas d’endocardite infectieuse gauche pour dépister rapidement les anévrismes mycotiques, même en l’absence de signes neurologiques1.
Lorsqu’une endocardite infectieuse est soupçonnée, les lignes directrices de l’AHA recommandent de faire au moins 3 hémocultures; les prélèvements doivent être faits à 3 endroits différents, et au moins 1 heure doit séparer le premier prélèvement du dernier1. Toute hémoculture supplémentaire devrait être réalisée sans tarder, une sepsie nécessitant l’amorce rapide d’une antibiothérapie. Nous avons prescrit au patient une antibiothérapie intraveineuse empirique à la ceftriaxone (2 g toutes les 12 h) et à la vancomycine (1 g toutes les 8 h), qui s’avère efficace contre la plupart des agents pathogènes généralement associés à l’endocardite subaiguë d’origine communautaire affectant les valvules naturelles (staphylocoques, streptocoques et entérocoques)1,2. Comme nous craignions une embolie septique cérébrale, nous avons administré des doses méningées.
Une échocardiographie transthoracique devrait être réalisée dès qu’une endocardite est estimée possible. L’échocardiographie transœsophagienne, plus sensible, est indiquée chez les patients qui ont eu un résultat négatif ou non concluant à l’échocardiographie transthoracique et qui éveillent de forts soupçons d’endocardite. Elle est également impérative lorsqu’un professionnel de la santé redoute des complications intracardiaques, comme un abcès paravalvulaire, un faux anévrisme ou une fistule, et peut être envisagée chez les patients qui ont obtenu un résultat positif à l’échocardiographie transthoracique1,2. La ponction lombaire était contre-indiquée chez notre patient en raison de l’anticoagulothérapie orale.
La tomodensitométrie et l’imagerie par résonance magnétique cérébrales du patient ont mis en évidence un AVC ischémique subaigu dans les régions pariétale et temporale gauches, ainsi que des signes d’hémorragie sous-arachnoïdienne de la convexité atraumatique localisée sans anomalies artérielles (figure 1). Le rivaroxaban a été immédiatement cessé. Les 2 types d’échocardiographies ont montré une régurgitation mitrale grave d’apparition récente, de même de multiples végétations (≤ 5 mm) sur la valvule antérieure. Aucun foramen ovale perméable n’a été observé lors d’un examen gazeux réalisé au moyen d’une solution saline agitée.
Images en coupe axiale tirées A) de la tomodensitométrie cérébrale et B) de l’imagerie par résonance magnétique cérébrale en séquence FLAIR (fluid-attenuated inversion recovery); on y voit un AVC ischémique aigu dans les régions pariétale et temporale gauches (ovale) et des signes d’hémorragie sous-arachnoïdienne de la convexité localisée (flèches noires et blanches).
Quatre hémocultures ont révélé la présence d’Enterococcus faecalis sensible à la pénicilline, à l’ampicilline, à la vancomycine et à la gentamicine (nous avons fondé notre interprétation sur les lignes directrices du Clinical and Laboratory Standards Institute [https://clsi.org/] et avons présenté nos résultats par catégories). Les résultats du patient à l’échocardiographie et à l’imagerie cérébrale répondaient aux critères diagnostiques de Duke pour l’endocardite infectieuse avec probable embolie cérébrale1. Nous avons changé l’antibiothérapie du patient pour de la pénicilline G intraveineuse (4 millions d’unités toutes les 4 h), et avons ajouté de la gentamicine (3 mg/kg, divisée en 2 doses) pour son effet synergique. Un traitement à la ceftriaxone et à l’ampicilline aurait été également approprié, surtout en présence d’une néphropathie chronique ou de fragilité faisant considérablement augmenter le risque d’intoxication par les aminoglycosides1.
L’endocardite liée à E. faecalis est généralement associée à une intervention génito-urinaire ou à une bactériurie, mais ce n’était pas le cas chez notre patient3. Parmi les autres causes potentielles d’endocardite, notons les néoplasmes colorectaux et les lésions inflammatoires des intestins et des voies biliaires. C’est pour cette raison que nous avons demandé une tomodensitométrie abdominale et pelvienne ainsi qu’une coloscopie, qui étaient sans particularités3,4. Ces examens, combinés à une anamnèse et à un examen physique exhaustifs, ont servi au dépistage du cancer approprié à l’âge du patient, dépistage indiqué en cas de TVP idiopathique5. Étant donné les antécédents de carcinome de la langue du patient, nous avons effectué une naso-laryngoscopie et une tomodensitométrie du cou afin d’écarter toute possibilité de récurrence du cancer; les résultats étaient normaux. L’examen dentaire était également normal.
Enfin, nous avons demandé un Doppler veineux pour réévaluer la TVP de la veine tibiale droite. La TVP n’avait pas changé, mais la veine semblait comprimée par une structure vasculaire au Doppler artériel (figure 2A, figure 2B). Une angiotomodensitométrie de l’abdomen et du membre inférieur a mis en évidence un anévrisme de l’artère fibulaire droite (figure 2C).
A) Image en coupe transversale de l’anévrisme de l’artère fibulaire droite à l’échographie avec échelle de 1 cm. L’échographie Doppler couleur montre la circulation artérielle dans l’anévrisme de 2 cm (a). B) Échographie Doppler de la jambe montrant la compression de la veine tibiale adjacente par l’anévrisme, de même qu’une thrombose distale (v). C) Reproduction tridimensionnelle des artères distales de la jambe droite par angiotomodensitométrie; on y voit un anévrisme (a) de 2 cm dans l’artère fibulaire.
Quelle devrait être l’étape suivante de prise en charge?
Observation et réalisation d’une nouvelle angiotomodensitométrie de la jambe droite dans 6 semaines
Amorce d’une nouvelle anticoagulothérapie avec de l’héparine intraveineuse
Excision chirurgicale de l’anévrisme et ligature de l’artère fibulaire droite
Embolisation d’urgence de l’artère fibulaire droite
Installation d’un filtre dans la veine cave inférieure
La réponse est « c ». Dans le contexte d’une endocardite infectieuse, nous soupçonnions un anévrisme mycotique de l’artère fibulaire droite découlant d’une embolie septique. L’amorce rapide d’une antibiothérapie intraveineuse appropriée est essentielle pour maîtriser la sepsie et réduire le risque d’embolies récurrentes1. Une intervention chirurgicale immédiate est nécessaire en raison du risque de rupture pouvant entraîner une hémorragie ou la perte du membre6.
On manque de données pour recommander le traitement endovasculaire d’un anévrisme mycotique périphérique7. Nous avons donc décidé d’éviter l’installation d’un filtre dans la veine cave inférieure étant donné l’emplacement distal de la TVP, la bactériémie associée et la nature traitable de la cause de la compression.
Discussion
Notre patient était un survivant du cancer qui avait été traité pour une TVP distale jugée idiopathique au moment de sa survenue. Il a par la suite développé une endocardite infectieuse compliquée par un AVC embolique, et nous lui avons diagnostiqué un anévrisme mycotique périphérique adjacent à la TVP. Une fièvre qui persiste plusieurs semaines après une TVP traitée est inhabituelle; des examens devraient être réalisés pour en déterminer la cause, comme une bactériémie. Bien qu’elle soit associée à des valvules artificielles, l’endocardite affecte des valvules naturelles dans 80 % des cas. Chez notre patient, l’endocardite à entérocoques est apparue de façon insidieuse. La numération leucocytaire était dans les valeurs normales, comme c’était le cas chez 53 % des participants d’une étude de cohorte rétrospective8. Nous n’avons pas été en mesure de déterminer la cause de l’infection; il en est ainsi dans la plupart (70 %) des cas4.
L’anévrisme fibulaire du patient a été causé par une embolie septique ayant donné naissance à un foyer d’infection dans la paroi de l’artère fibulaire, et il est possible qu’un petit anévrisme mycotique n’ait pas été repéré à la première échographie. L’infection et l’inflammation locales pourraient avoir entraîné une TVP dans la veine tibiale postérieure, située juste à côté. Comme mentionné dans des études de cas antérieures, il se pourrait que la pression exercée par l’anévrisme mycotique croissant explique la persistance de la TVP malgré l’anticoagulothérapie9.
Les anévrismes mycotiques, signalés dans 2 %–4 % des cas d’endocardite infectieuse, découlent d’une embolie septique le plus souvent attribuable à des végétations mitrales6. La plupart sont causés par des staphylocoques et des salmonelles, mais peuvent également être causés par des streptocoques, des entérocoques et des organismes à Gram négatif10. Ils touchent généralement les artères intracrâniennes, périphériques, thoraciques et abdominales6. Les patients présentent souvent une masse pulsatile érythémateuse et douloureuse, mais peuvent aussi présenter une ischémie aiguë au membre affecté, des symptômes constitutionnels et une infection concomitante des tissus mous environnants. Les lignes directrices de l’AHA sur les anévrismes mycotiques recommandent de procéder à une échographie Doppler, à une angiotomodensitométrie ou aux deux pour dépister les anévrismes périphériques6.
La prise en charge d’un anévrisme périphérique infecté est principalement chirurgicale6. Des études rétrospectives ont d’ailleurs montré l’efficacité de diverses interventions, comme la ligature, l’excision, la reconstruction in situ et l’excision avec une revascularisation extra-anatomique6. Une étude de 2018 portant sur 28 patients présentant un anévrisme mycotique périphérique a comparé la revascularisation à la résection et à la ligature uniquement et n’a relevé aucune différence quant au taux d’ischémie menaçant l’intégrité du membre affecté11. En l’absence de données d’études prospectives randomisées, l’AHA recommande une prise en charge personnalisée6. Une revue systématique menée en 2017 sur des patients ayant un faux anévrisme de l’artère iliofémorale infecté a montré que la combinaison d’une endoprothèse vasculaire pour un anévrisme mycotique iliofémoral et d’un débridement chirurgical était associée à un faible taux de complications et à une perméabilité élevée7. Cette option thérapeutique pourrait être offerte aux patients chez qui une intervention chirurgicale pose un risque élevé, mais les données actuelles sont insuffisantes pour la recommander. L’antibiothérapie intraveineuse est habituellement maintenue au moins 6 semaines après la chirurgie6.
Retour à l’étude de cas
Notre patient a subi une résection de l’anévrisme et une ligature de l’artère fibulaire droite. Les artères tibiales collatérales permettaient une perfusion distale suffisante. Aucun anévrisme intra- ou extracrânien n’a été repéré lors d’une angiotomodensitométrie subséquente. On a attendu 4 semaines après le diagnostic d’AVC hémorragique pour remplacer la valvule mitrale, entre autres parce qu’une anticoagulothérapie était nécessaire pendant la chirurgie cardiaque. Le patient était stable sur les plans hémodynamique et neurologique avant et après le remplacement valvulaire et s’est complètement rétabli.
Le JAMC vous invite à soumettre vos textes pour la rubrique « À vous de décider ». Les détails cliniques (notamment en images) sont présentés, accompagnés d’une question à choix multiples sur le diagnostic. Le tout est suivi de la réponse et d’une brève analyse de la pathologie. La préférence va aux textes traitant de diagnostics par radiographie ou électrocardiographie courants ou importants qui pourraient intéresser un public général. Le consentement des patients doit impérativement être obtenu pour la publication de leur cas. Veuillez soumettre les manuscrits en ligne : http://mc.manuscriptcentral.com/cmaj.
Remerciements
Les auteurs remercient le Dr André Lamarre, radiologiste interventionnel au CHU de Québec–Université Laval, pour son soutien.
Footnotes
Voir la version anglaise de l’article ici : www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.201491
Intérêts concurrents: Aucun déclaré.
Cet article a été révisé par des pairs.
Les auteurs ont obtenu le consentement du patient.
Collaborateurs: Tous les auteurs ont contribué à l’élaboration et à la conception de l’étude, ont rédigé le manuscrit et en ont révisé de façon critique le contenu intellectuel important; ils ont donné leur approbation finale pour la version destinée à être publiée et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.
Financement: Benoît M.-Labbé est appuyé dans son travail par la Chaire en transfert de connaissances, éducation et prévention en santé respiratoire et cardiovasculaire de l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec – Université Laval. Alexandre Lafleur est cotitulaire de la Chaire de leadership en enseignement en pédagogie des sciences de la santé AMC-MD.
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