Madame la Ministre,
Permettez-moi d’abord de vous féliciter de votre nomination. Comme vous avez été ministre de la Santé du Nunavut, la désignation d’une personne de votre compétence est de bon augure. Vous aurez sans doute eu le temps de vous installer, de vous initier aux principaux dossiers et d’apprendre comment le Cabinet établit les priorités et les politiques.
Nous avons été très déçus que le récent budget ne reconnaisse pas la santé comme une importante préoccupation. Nous craignons surtout que la conjoncture économique engendre une autre série de réductions des paiements de transfert du gouvernement fédéral aux provinces pour la santé. Nous espérons vivement que le gouvernement fédéral continuera de faire de la santé des Canadiens une priorité.
Le système de santé ne s’est jamais complètement remis de la dernière ronde de compressions fédérales du milieu des années 1990. L’importante réduction d’environ 10 % du financement fédéral pour le secteur de la santé a forcé les gouvernements provinciaux à sabrer dans de nombreux programmes de soins de santé, à fermer des hôpitaux, à réduire le nombre de lits dans les établissements hospitaliers restants et à supprimer des postes de formation pour les médecins et autres professionnels de la santé.
Ces compressions ont aussi eu un autre effet secondaire involontaire: l’influence du gouvernement fédéral sur la santé s’est érodée à mesure que diminuait le financement fédéral. Les gouvernements provinciaux sont devenus beaucoup plus autonomes et, dans bien des cas, réticents à lancer de nouveaux programmes et à adopter de nouvelles normes dans l’intérêt de tous les Canadiens. La bataille au sujet des champs de compétence qui se poursuit entre les gouvernements fédéral et provinciaux, qu’il s’agisse de la santé des Premières Nations, de la santé publique, de l’accès aux soins et aux médicaments coûteux ou de l’établissement de normes nationales, porte à croire que le gouvernement fédéral a peu d’influence sur les divers systèmes de santé du Canada. La capacité des provinces à offrir des services du secteur privé 1 et à ériger des obstacles administratifs à la transférabilité des services sans en subir de conséquences nous rappelle sans cesse l’affaiblissement de l’autorité fédérale.
Les systèmes de santé du Canada semblent s’éloigner de plus en plus de la promesse de la Loi canadienne sur la santé. Vingt-quatre ans après son adoption, nous avons entre les mains 14 systèmes de santé fragmentés qui affichent des différences significatives en matière de résultats et d’importantes disparités au plan des services de santé. Le Québec, par exemple, est la seule province à offrir un programme d’assurance-médicaments, mais manque de lits dans les établissements de soins de longue durée et loge de nombreux hôpitaux de soins tertiaires dans des bâtiments délabrés. En Ontario, les hôpitaux sont mieux financés, mais les soins à domicile sont limités et on n’offre aucun programme d’assurance-médicaments. Et, vous le savez fort bien, le système de santé des Autochtones financé par le gouvernement fédéral est en proie à d’importants problèmes d’accès 2 et l’unique hôpital du Nunavut n’a pas réussi à répondre aux critères minimaux des normes d’agrément.
Certes, de brèves lueurs d’espoir sont apparues. En 2000, en réponse à la pression du public, les premiers ministres ont formulé une vision pour les soins de santé, et l’accord issu de cet exercice s’est enrichi des accords sur la santé de 2003 et de 2004 3,4. On exhortait les gouvernements à faire des modifications systémiques, y compris réformer les soins primaires et assurer un meilleur accès aux praticiens de soins primaires, augmenter le nombre de praticiens de la santé, réduire les temps d’attente, développer des services de soins à domicile, mettre en œuvre un programme national de protection contre le coût catastrophique des médicaments, sur le modèle de l’assurance-médicaments du Québec ou de notre système national d’assurance-maladie, et améliorer la production et la diffusion de rapports sur les résultats en santé. Ultérieurement, les transferts pour la santé versés en espèces aux provinces sont passés de 16,5 milliards de dollars en 2006 à 24 milliards en 2009–2010 (en sus d’importants transferts de points d’impôt).
Cinq ans plus tard, le gouvernement fédéral a versé de l’argent aux provinces, mais les gains sont, tout au plus, modestes. Les temps d’attente pour de nombreuses procédures ont à peine diminué dans plusieurs régions. Les pénuries de professionnels de la santé sont graves. Et nous attendons toujours un programme national d’assurance-médicaments et des indicateurs nationaux pour assurer l’imputabilité. Les Canadiens ont besoin de réformes qui permettront d’améliorer l’accès aux soins primaires et les résultats en santé.
Si nous n’avons connu que des progrès limités, c’est à cause de l’érosion du leadership national en matière de santé. Les gouvernements fédéraux qui se sont succédés ont réduit les investissements ou, par leur inaction, ont permis à la santé de relever purement de la compétence provinciale. Étant donné l’importance qu’occupe la santé dans l’esprit des électeurs, nous demeurons d’être très préoccupés du fait qu’elle ne figure plus au programme du gouvernement fédéral.
Nous avons bon espoir que votre gouvernement continuera d’agir dans l’intérêt public. Cependant, il ne suffira pas de s’acquitter de quelques dettes. Nous vous exhortons ainsi que votre gouvernement à faire preuve d’un véritable leadership en faisant appliquer la Loi canadienne sur la santé et en agissant sur les décisions émanant des accords sur la santé. Remettre l’action à demain ne fera que faire souffrir davantage de Canadiens. La santé de notre nation dépend de vous.
RÉFÉRENCES
Footnotes
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Intérêts concurrents: Voir www.cmaj.ca/misc/edboard.shtml pour les déclarations de l’équipe de rédaction de l’éditorial.