Des stratégies cliniques plus efficaces s’imposent pour lutter contre le cancer du poumon, forme de cancer dont l’incidence est la plus élevée et qui cause le plus grand nombre de décès. De grands essais randomisés étudient une nouvelle stratégie de dépistage par tomodensitométrie (TDM) à faible dose, qui pourrait être prometteuse. La disponibilité généralisée de la TDM menace toutefois de miner la pratique fondée sur les données probantes, si les cliniciens adoptent trop rapidement cette forme de dépistage. Dans nos pratiques, nous voyons régulièrement des patients qui posent des questions sur le dépistage par la TDM ou qui s’y sont déjà soumis. Des groupes de représentation des patients, comme la US Lung Cancer Alliance, préconisent ce type de dépistage1.
Les progrès de la technologie de TDM permettent maintenant de produire des images dont la résolution suffit pour repérer des nodules pulmonaires d’à peine quelques millimètres de diamètre tout en exposant les patients à de plus faibles doses de rayonnements que la TDM pulmonaire classique. L’étude la plus importante et la plus connue réalisée jusqu’ici sur le dépistage du cancer du poumon par TDM, soit le programme international d’intervention précoce contre le cancer du poumon (International Early Lung Cancer Action Program — I-ELCAP)2, a signalé que le dépistage par TDM à faible dose peut permettre de repérer avec succès un cancer du poumon curable au stade précoce. Le protocole I-ELCAP comporte un dépistage de référence et annuel par la suite. On a étudié les nouveaux nodules repérés au moyen d’un algorithme défini comportant des TDM fréquentes, des tomographies par émission de positrons, des antibiotiques ou une biopsie pulmonaire. Les patients atteints de cancer ont subi une résection chirurgicale et leur taux de survie à 10 ans variait de 88 % à 92 %.
Compte tenu de résultats aussi favorables, pourquoi ne pas nous précipiter pour adopter le dépistage du cancer du poumon par TDM? Tout d’abord, le dépistage a d’importantes conséquences imprévues. Au cours de l’étude I-ELCAP, le dépistage s’est révélé inefficace, réussissant à repérer un cancer chez 1,3 % seulement des participants. D’autres anomalies, dont on a fini par démontrer le caractère bénin mais qui ont exigé d’autres analyses, étaient 10 fois plus courantes. Même si le protocole I-ELCAP a évité des biopsies inutiles, les patients ont vécu inutilement dans l’anxiété pendant qu’ils attendaient d’autres tests.
Il y a toutefois une considération encore plus importante, soit que les succès apparents des études de dépistage du cancer du poumon par TDM peuvent être illusoires. Plusieurs types bien décrits d’erreurs systématiques sont courantes dans le dépistage du cancer, dont chacune pourrait expliquer les constatations de l’étude. Même s’il semble important, le besoin de dépister le cancer lorsqu’il est encore petit ne correspond pas à la biologie de toutes les tumeurs. Au lieu de repérer des cancers dont on aurait autrement raté la possibilité de guérison, il se peut que le dépistage permette simplement d’identifier plus tôt des cancers qui demeurent curables après être devenus cliniquement apparents (erreur systématique de temps de réponse). Même si le dépistage augmente le nombre de cas de cancer diagnostiqués, il y a beaucoup de tumeurs peu évolutives à croissance lente (erreur systématique de durée). Chez certains patients, le dépistage peut aboutir à un surdiagnostic et à un surtraitement de cancers qui ne deviendraient jamais cliniquement évidents parce que les patients en question risquent beaucoup plus de mourir d’autre cause.
Les cliniciens doivent se garder d’adhérer trop rapidement au mouvement d’enthousiasme soulevé par le dépistage du cancer. Nous avons déjà connu cette situation. Après des années de recherche, on a constaté que les radiographies pulmonaires et l’histologie des crachats étaient inefficaces comme outils de dépistage du cancer du poumon3. L’analyse de l’antigène prostatique spécifique est répandue en pratique clinique, mais on n’a encore jamais prouvé qu’elle réduit la mortalité attribuable au cancer de la prostate4. Même si l’on a démontré que la mammographie avait un effet bénéfique chez les femmes plus âgées, on ne sait pas si elle réduit la mortalité attribuable au cancer du sein chez les femmes de 40 à 49 ans5. Ces constatations soulignent les conséquences de l’incapacité de définir des sous-groupes démographiques optimaux pour le dépistage.
Nous reconnaissons que les promoteurs du dépistage par TDM peuvent avoir raison au sujet de ses bienfaits, mais il faut toutefois les prouver au lieu de les supposer, ce qu’on ne pourra plus faire si on laisse l’enthousiasme prématuré se transformer en pratique généralisée.
Les organisations professionnelles nationales et internationales qui représentent des médecins spécialistes du cancer, des maladies pulmonaires et de l’imagerie médicale pourraient aider en collaborant à la production d’énoncés stratégiques conjoints afin de guider la pratique entre-temps. En attendant, si des cliniciens choisissent d’offrir à leurs patients le dépistage du cancer du poumon par TDM, leur décision devrait reposer sur leur meilleure évaluation des données probantes incomplètes disponibles et sur les valeurs et les préférences des patients, tout en reconnaissant de prime abord l’incertitude qui règne actuellement. Idéalement, de tels patients devraient être inscrits à des essais cliniques sur le dépistage par TDM. De même, les responsables des politiques devraient attendre de meilleures données probantes sur l’efficacité et la rentabilité avant d’investir dans d’autres programmes de dépistage par TDM. Entre-temps, étant donné les connaissances actuelles sur la prévention du cancer du poumon, il semblerait plus rentable de cibler les efforts sur l’évitement et l’abandon du tabac plutôt que sur la détection du cancer du poumon.
Footnotes
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Intérêts concurrents: Voir www.cmaj.ca/misc/edboard.shtml.
Traduit par le Service de traduction de l’AMC.