La République populaire de Chine et la République de Chine (Taïwan) ont beaucoup en commun, y compris le débat malheureusement insoluble qui se poursuit sur la question de savoir si elles constituent un ou deux pays. Ce débat stérile est périlleux sur le plan de la santé publique, car la maladie ne connaît pas de frontières. Il est donc plus que temps que ces deux républiques participent pleinement aux activités de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). La protection contre les agents pathogènes qui se répandent rapidement et qui sont susceptibles d’engendrer une pandémie mondiale l’exige.
Depuis plus de 10 ans, la Chine et Taïwan se sont livré bataille sur le parquet de l’Assemblée mondiale de la Santé, l’organe directeur de l’OMS qui se réunit une fois l’an, au sujet du droit d’envoyer des représentants politiques et scientifiques aux diverses activités de l’OMS. La Chine est l’hyperpuissance scientifique en devenir de l’Asie; elle a un gouvernement souverain et une population de 1,3 milliard d’habitants. Par ailleurs, Taïwan est gouverné par un gouvernement légitime et compte 23 millions d’habitants qui jouissent d’un système de santé financé par l’État efficace.
Puisque ces deux États ne disparaîtront pas de sitôt et que chacun d’eux possède de véritables atouts pour la santé partout dans le monde, le JAMC estime qu’ils devraient tous deux participer à l’OMS. Mais à quel titre?
Au cours des dernières années, notamment en 2003 lors de l’épidémie du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), Taïwan a été autorisée à participer aux activités de l’OMS de façon ponctuelle, mais seulement avec l’aval de Beijing. Bien qu’il n’ait jamais véritablement été satisfaisant, cet arrangement est maintenant inapplicable. Au cours de l’épidémie du SRAS, cet accord a forcé le ministère de la Santé de Taïwan à avoir recours à un intermédiaire des plus invraisemblables — un Texan — pour communiquer avec l’OMS 1. Le nouveau Règlement sanitaire international (RSI), en vertu duquel l’OMS doit être informée rapidement et de façon transparente de la survenue de toute urgence de portée internationale en matière de santé publique, exige un rapport moins lourd et plus “normal” avec Taïwan.
À ce jour, Taïwan a demandé le statut d’observateur à l’Assemblée mondiale de la Santé. Il existe des précédents à ce sujet: le Saint-Siège, la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, l’Ordre de Malte et la Palestine sont tous des observateurs en règle 2. De toute évidence, ni la possession d’un territoire, ni la souveraineté ne sont des conditions sine qua non pour être observateur. La diplomatie ne fait cependant pas toujours preuve de logique et la Chine n’a jamais accepté la participation de Taïwan en tant qu’observateur.
Or, voilà que récemment, on note un dégel et des signes de compromis. Un gouvernement Kuomintang plus tempéré a été élu à Taipei (ce qui est positif). La Chine est aussi devenue moins ombrageuse et moins anxieuse qu’elle ne l’était avant la réussite de ses Jeux olympiques (ce qui est positif). Elle a même envoyé deux adorables pandas géants à Taïwan, geste interprété comme un présage de jours meilleurs (ce qui est positif, même si l’entente n’indiquait pas clairement si les deux pandas avaient besoin d’un passeport). Au moment de la rédaction de cet éditorial, les deux parties avaient ouvert la voie à un réchauffement diplomatique et avaient débattu de leurs positions respectives quant à la participation de Taïwan à l’OMS (ce qui est très positif). Les tierces parties doivent encourager cette tendance.
Les efforts de l’OMS méritent également d’être soulignés: elle a discrètement négocié un accord pragmatique relativement au RSI. En janvier, l’OMS a proposé que Taïwan ait des “contacts directs” par l’intermédiaire de personnes-ressources à Taipei (proposition que Taïwan a acceptée); il n’est plus question d’intermédiaire texan. En d’autres mots, Taïwan a accès à une base de données sur les épidémies grâce à laquelle elle peut alerter l’OMS en cas de flambée de maladie menaçant la santé publique à l’échelle mondiale ainsi que recevoir de telles alertes. L’OMS tire aussi parti du fait que des experts médicaux et des laboratoires taïwanais se joindront à ses équipes spécialisées dans la lutte contre les épidémies de portée internationale.
Même si l’entente n’aborde pas tous les aspects des relations de l’OMS avec Taïwan, elle constitue néanmoins un progrès sans précédent depuis des décennies. Quant à la Chine, elle mérite des félicitations pour avoir permis son entrée en vigueur.
Pour ce qui est des prochaines étapes, chacun devra faire preuve de délicatesse. Les pays tiers qui ont pris parti dans le débat — par exemple, les États-Unis en faveur de Taïwan, la Russie en faveur de la Chine — devraient modérer leurs ardeurs. Quant à la Chine et à Taïwan, elles devraient, de leur côté, convenir de reléguer temporairement aux oubliettes — pendant un an — le débat inflammatoire sur le statut d’observateur de Taïwan à l’Assemblée mondiale de la Santé, et donner ainsi l’occasion aux diplomates de l’OMS de négocier un accord plus global sur sa participation. Il faudrait envisager sérieusement la possibilité de laisser Taïwan participer sous le nom de “Taipei chinois”, une appellation qui a permis à ses athlètes de concourir aux Jeux olympiques de Beijing. Les enjeux de la santé mondiale étant encore plus importants, la Chine ne devrait pas s’opposer à ce même compromis dans ce cas-ci.
Comme il est fort probable que nous fassions un jour face à des menaces telles une pandémie de grippe humaine H5N1 d’origine asiatique, la communauté internationale devrait s’efforcer de trouver une solution pragmatique nous permettant de faire face à de telles menaces et en favoriser l’adoption. En tant que partenaires de l’une des plus grandes civilisations du monde, la Chine et Taïwan jouissent d’une proximité linguistique et culturelle. Elles ont par le fait même plus à gagner que nul autre de la participation libre et autonome de Taïwan aux activités liées à la santé publique. Le moment d’agir est arrivé!
RÉFÉRENCES
Footnotes
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Intérêts concurrents: Voir www.cmaj.ca/misc/edboard.shtml.