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Trois fois au cours d'une même décennie — en 1999, en 2002 et maintenant en 2008 — le vérificateur général du Canada a fustigé Ottawa et les provinces à cause de l'indolence dont ils font preuve pour protéger les Canadiens contre les urgences épidémiques. Et 3 fois au cours d'une même décennie, on a fait la sourde oreille.
De nos jours, aucun politicien au Canada n'ignore ce qu'est le SRAS ou la grippe aviaire et qu'une épidémie massive ou une pandémie pourrait tuer des dizaines ou des centaines de milliers de Canadiens en quelques semaines ou quelques mois. Pourtant, les gouvernements fédéral et provinciaux n'arrivent pas à s'entendre sur la façon de partager l'information épidémiologique en cas d'éclosion d'une maladie.
L'expression «information épidémiologique» peut certes sembler ordinaire, mais elle est au cœur même de la compréhension de l'envergure, de la portée et de la gravité d'une épidémie et de ce qu'il faudra faire pour la contrôler. Une épidémie se propage parfois de façon exponentielle : 1 personne malade peut en infecter 2, qui en infectent 4 et ainsi de suite. Or, chaque étape qui double (ou plus) le nombre des victimes peut prendre quelques jours à peine. On n'a pas le temps en cas d'urgence de se disputer sur l'accès à l'information épidémiologique. Le temps perdu équivaut à des vies perdues.
Ces réalités scientifiques sont assez claires, mais depuis une décennie, Ottawa et les provinces n'en tiennent pas compte. Au lieu de bâtir un système d'échange rapide d'information épidémiologique — afin de mieux coordonner une intervention nationale et internationale en cas de crise — les gouvernements du Canada ne partagent pas l'information.1
En effet, rien n'oblige 12 des 13 provinces et territoires à partager de l'information avec le gouvernement fédéral ou le reste du Canada au cours d'une éclosion. Après avoir reçu une leçon d'humilité à la suite de l'épidémie de SRAS, l'Ontario est la seule province à le faire. Lorsque l'Organisation mondiale de la Santé a diffusé un avis aux voyageurs au sujet de Toronto, ce n'était pas parce que la ville comptait un nombre record de cas de SRAS (il y en avait à peu près autant à Singapour) : c'était plutôt parce que l'Ontario tardait à informer Ottawa du caractère nosocomial et communautaire de l'épidémie2.
On a déjà noté ces préoccupations. Il y a une décennie, le vérificateur général a critiqué notre «absence de normes communes et de procédures convenues pour la communication de l'information [épidémique] à l'échelle provinciale et territoriale3. Santé Canada était d'accord et a promis «d'entamer des discussions sur cette question importante3». Les discussions ont échoué. Au rythme d'une province (Ontario) par décennie qui consent à partager l'information, il faudra jusqu'au siècle prochain pour couvrir tout le Canada.
Pour être juste, le Parlement a pris des mesures audacieuses. Si l'on trouvait un poulet porteur de la grippe aviaire demain, Ottawa serait prêt. Des lois fédérales sont en place qui permettent d'inspecter les fermes pour déterminer si la maladie y est présente, de les mettre en quarantaine au besoin et de punir quiconque dissimule l'épidémie4. Mais si on découvre un être humain porteur de la grippe aviaire, tant pis.
Nous croyons au JAMC qu'il s'agit d'une honte nationale. Comme l'expliquent Wilson et ses collaborateurs5 dans ce numéro, le Canada a de nouvelles obligations pressantes envers le monde de gérer les épidémies à l'intérieur de ses frontières. Depuis l'échec des discussions et des négociations avec les provinces et les territoires, Ottawa doit maintenant légiférer pour les obliger à échanger de l'information épidémiologique en période d'urgence.
En vertu de la constitution du Canada, le Parlement a le pouvoir de légiférer lorsque survient une urgence comme une épidémie6. Il peut aussi criminaliser des actes nuisibles comme le fait de dissimuler de l'information épidémiologique. Des lois fédérales obligent déjà à divulguer de nombreux types de renseignements en santé publique, par exemple dans le cas de l'étiquetage des médicaments. Le Parlement peut sûrement légiférer aussi pour rendre l'information épidémiologique disponible. D'autres pays, les États-Unis et l'Australie notamment, l'ont déjà fait.
En s'en remettant aux provinces à cet égard, le Parlement a atteint un niveau de ridicule qui pourrait être tragique. Au cours d'une épidémie mortelle, les lois fédérales qui protègent la volaille canadienne sont plus robustes que celles qui protègent la population canadienne. Il est urgent que le Parlement légifère pour imposer un moyen de passer outre aux guerres de compétence avant que le vérificateur général nous rappelle — une fois de plus — que cela s'impose depuis dangereusement longtemps. Ou encore pire, avant qu'une épidémie mortelle ne mette nos lacunes en évidence.
Footnotes
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Traduit par le Service de traduction de l'AMC.
La version française de l'éditorial a été quelque peu abrégée en raison de contraintes d'espace.
Avec l'équipe de rédaction de l'éditorial (Paul C. Hébert MD MHSc, Rajendra Kale MD, Matthew B. Stanbrook MD PhD, Barbara Sibbald BJ, Ken Flegel MDCM MSc, Noni MacDonald MD MSc).
Intérêts concurrents : Voir www.cmaj.ca/misc/edboard.shtml.