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Décider de retirer ou de retenir des soins de maintien de la vie, c'est difficile dans le meilleur des cas, mais lorsque les familles et les soignants ne s'entendent pas sur les mesures à prendre, le conflit perturbe le soin du patient et absorbe d'énormes ressources personnelles de toutes les parties.
Le cas de Samuel Golubchuk, homme âgé très malade hospitalisé dans une unité de soins intensifs de Winnipeg, Manitoba, et sur le point de subir la défaillance de multiples organes, illustre le problème. Les médecins voulaient interrompre les soins et ils ont rencontré les membres de la famille du patient à plusieurs reprises pour obtenir leur consentement. Il y a toutefois eu impasse religieuse, le fils et la fille de M. Golubchuk refusant leur consentement.
«Les médecins ne savent pas tout», a déclaré Percy Golubchuk à CTV News. «Dieu est le grand médecin» 1.
Apparemment, Dieu serait aussi un avocat commode. La famille s'est précipitée au tribunal et «sans prévenir les défendeurs», a obtenu une injonction interdisant à l'hôpital et aux médecins «de retirer au plaignant (…) les soins de maintien de la vie, la ventilation, l'alimentation par tube et les médicaments» — ordonnance qui, si on l'enfreint, peut entraîner des amendes ou une peine de prison2. Les membres de la famille croient que leur père «doit être maintenu en vie aussi longtemps que son cœur bat, qu'il fonctionne et qu'il y a de l'activité cérébrale»1 et, selon leur avocat «tout moyen pris pour hâter la mort constitue un meurtre» 3.
S'il s'agit d'un meurtre, beaucoup de médecins du Canada devraient être en prison. Légalement, les médecins ont une obligation de diligence. L'obligation de prodiguer des soins extraordinaires à des patients à l'agonie, y compris des patients qui répondent très peu, force le médecin à enfreindre son obligation habituelle de diligence, qui est d'assurer le meilleur équilibre entre les préjudices probables et les avantages prévisibles. C'est pourquoi une approche qui exclut la possibilité de retenir ou d'interrompre les soins de maintien de la vie est inapplicable.
Le cas de M. Golubchuk est loin d'être unique. En Angleterre, l'affaire Airedale NHS Trust c. Bland mettait aussi en cause un patient dans un état végétatif persistant4. Dans ce cas, au lieu de refuser son consentement, la famille acceptait la mort de la personne chère, et c'étaient les administrateurs de l'hôpital qui craignaient que le débranchement du tube de gavage ne soit illégal et constitue un meurtre — tout le contraire de l'affaire Golubchuk. La Cour suprême de l'Angleterre a statué que le retrait du tube de gavage constituait une «omission» plutôt qu'un «acte» qui provoque un meurtre et elle a permis qu'on l'enlève. Tony Bland est mort peu après.
Quelles leçons pouvons-nous tirer des affaires Golubchuk et Bland? Tout d'abord, le retrait réfléchi des soins de maintien de vie n'est pas un «meurtre». Les avocats peuvent affirmer que c'en est un en exploitant la distinction douteuse entre acte et omission, mais en vérité, le retrait d'une intervention effractive comme le gavage constitue à la fois une omission (interruption du soin) et un acte (enlèvement d'un tube). Des juges qui feraient preuve de sagesse rejetteraient cette charade linguistique et adopteraient courageusement une approche éthique de la prise de décision, qui insiste toujours sur le meilleur intérêt du patient. En de telles circonstances, c'est la maladie qui tue le patient et non le médecin ou le traitement.
Deuxièmement, des familles exagèrent dans leurs exigences de maintien de la vie, souvent parce qu'elles se fondent sur des croyances religieuses ou sur des normes culturelles pour définir étroitement le meilleur intérêt du patient. Dans la mort tout comme dans la vie, aucun droit n'est absolu, y compris la liberté constitutionnelle de pratiquer sa religion. Les tribunaux et la société en général ne devraient pas accepter que l'on force des soignants à s'opposer au phénomène naturel de la mort en les obligeant à prendre des mesures qui, dans les circonstances, sont extraordinaires et n'entraînent pas d'avantage prévisible. Même si la religion et la culture aident à mieux comprendre le contexte de la prise de décision, elles ne doivent pas empiéter sur les droits d'autrui. Il est injuste que la religion joue un rôle dans l'attribution des lits d'hôpital, car cela privilégie les patients religieux par rapport à ceux qui peuvent avoir besoin de soins plus urgents et qui peuvent avoir une meilleure chance de s'en sortir.
Troisièmement, il est juste que les familles se fassent entendre, si elles ont des croyances bien ancrées, religieuses ou autres, au sujet de la mort de leurs proches. Dans la mort tout comme dans la vie, il faut respecter l'équité procédurale. Dans l'affaire Golubchuk, le juge a souligné qu'il y avait eu rupture de communications entre la famille et les médecins et il a reproché à l'hôpital de ne pas avoir eu recours à la médiation ou à l'arbitrage2, comme le recommande la Société canadienne de soins intensifs en cas d'impasse. En ne fournissant pas des services impartiaux et indépendants de médiation dans le cadre d'un processus bien établi prévoyant des règles et des lois claires, l'hôpital a payé cher : il a fait l'objet d'une poursuite.
Enfin, il peut valoir la peine de tenir compte de la réforme du droit. L'État du Texas, par exemple, a adopté en 1999 la Texas Advance Directive Act5. La loi décrit le processus de discussion entre les familles et les médecins, inclut un mécanisme de règlement des différends et prévoit une limite de 12 jours. Si le processus échoue, l'hôpital doit, en collaboration avec la famille, essayer d'arranger le transfert du patient à un autre médecin ou à un autre établissement disposé à donner le traitement demandé par la famille. Si l'on ne peut trouver un tel fournisseur, l'hôpital et les médecins peuvent retirer ou interrompre unilatéralement le traitement jugé futile, même si le patient ou son fondé de pouvoir peut demander une prolongation à un juge de l'État. Au cours d'une récente étude portant sur la mise en œuvre de cette directive au cours d'une période de 2 ans au Centre médical de l'Université Baylor à Dallas, au Texas, les auteurs ont constaté que les données indiquent que la loi «représente un premier pas vers une solution pratique dans ce domaine controversé des soins de santé modernes»5. Même si la loi est imparfaite, elle offre un exemple clair. Et les premières étapes sont importantes.
Finalement, aucune des 2 parties dans l'affaire Golubchuk ne semble avoir particulièrement raison. L'hôpital a laissé tomber la famille en ne lui accordant pas une audience juste et impartiale et la famille a laissé tomber la société en se servant de sa religion pour privilégier son père par rapport à d'autres patients dans le besoin. Comme le juge l'a signalé, les 2 parties auraient pu éviter le litige si elles avaient eu recours aux services d'un médiateur informé, qualifié et objectif2. Afin d'éviter des échecs à l'avenir, l'adoption généralisée de mécanismes structurés de médiation ou, encore mieux, de lois comme celle du Texas, garantirait une clarté dont on a grand besoin.
Footnotes
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Avec l'équipe de rédaction de l'éditorial (Rajendra Kale MD, Barbara Sibbald BJ, Ken Flegel MDCM MSc et Noni MacDonald MD MSc).
Intérêts concurrents : Voir www.cmaj.ca/misc/edboard.shtml