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« …quand tu seras vieux, tu étendras les bras, un autre attachera ta ceinture et te mènera où tu ne voudras pas aller.» Jean 21:18
Les cliniciens savent que les personnes âgées craignent non pas tant la mort que ce qui la précède. Comme les thérapies modernes réussissent plus efficacement à soulager la douleur, l'angoisse émotionnelle et la confusion morale, le contrôle du processus lui-même est devenu la grande préoccupation. Cette défense du besoin de garder le contrôle est particulièrement évidente chez les personnes âgées atteintes de démence. C'est pourquoi il est bizarre que dans le soin médical des adultes, nous ayons adopté une attitude du tout ou rien face à la prise de décision par les adultes en perte d'aptitude.
La médecine moderne a enlevé le contrôle au patient pour le donner au professionnel. Les médecins préfèrent traiter chaque problème à fond sans tenir compte de la qualité de vie. C'est pourquoi les patients qui mourront dans moins d'un an reçoivent souvent des traitements pour une hypertension, une hyperglycémie ou une hyperlipidémie asymptomatique bénigne. Ou, au contraire, nous choisissons la voie de la facilité. Au lieu d'offrir aux patients atteints de démence un milieu de vie sûr où ils seront chéris et bien entourés, nous leur prescrivons des médicaments pour les tenir tranquilles, leur enlevant ainsi du même coup ce qui leur reste de dignité.
Nos collègues en pédiatrie, qui font face chez leurs patients à une aptitude décisionnelle tout aussi limitée, ont adopté une approche plus nuancée fondée sur les principes suivants : les enfants ont une dignité, une valeur intrinsèque et un droit au traitement médical qui sert leurs meilleurs intérêts; les enfants doivent participer à la prise des décisions qui les touchent; il faut présenter l'information avec sincérité et délicatesse; la prise de décision doit être interdisciplinaire et fondée sur la collaboration; et les meilleurs intérêts de chaque enfant doivent primer1. Nous sommes étonnés au JAMC de voir que l'on ne tient pas compte de tels principes dans le cas des adultes en perte d'aptitude.
Les médecins qui traitent principalement des patients âgés pourraient s'inspirer non seulement de ces principes, mais aussi de 2 concepts qui guident la pratique en pédiatrie. Tout d'abord, le concept de l'assentiment reconnaît que les enfants ont des aptitudes partielles à la prise de décision et qu'ils ont par conséquent un certain pouvoir sur leurs propres soins de santé. Les éléments de l'assentiment comprennent le fait que le patient est conscient de la nature du problème et de ce à quoi il doit s'attendre à la suite de chaque intervention, que le médecin évalue cliniquement la compréhension du patient et la présence de facteurs d'influence comme les pressions, et qu'il demande au patient s'il est disposé à accepter le plan2. Deuxièmement, le concept du libre arbitre maintient qu'il ne faut pas manipuler le décideur ni lui forcer la main et que celui-ci peut toujours changer d'idée.
Il serait facile d'adapter ces principes et ces concepts pour les adultes en perte d'aptitude. Leur adoption reposerait sur une évaluation mieux définie de l'aptitude à décider, ce qui obligerait les établissements de santé et les praticiens à commencer par abandonner le tout ou rien décisionnel. L'aptitude à décider devrait être beaucoup plus spécifique à la décision à prendre et il faudrait la réévaluer souvent.
Pour garantir des évaluations ciblées de l'aptitude, on pourrait notamment augmenter le nombre de catégories dont il est tenu compte dans l'évaluation. Nous devrions plus précisément déterminer l'aptitude d'un patient à prendre une décision dans les 4 catégories suivantes : questions légales et financières, gestion des soins de santé (investigation ou intervention), comportements et fonctions corporelles. Il est courant de déterminer l'aptitude dans les 2 premiers domaines séparément. Nous avons commencé à respecter les décisions des patients sur le plan du comportement. Par exemple, des établissements font des accommodements pour les patients qui fument ou qui aiment prendre un verre ou prendre une marche à l'extérieur. Les appareils de contention physiques sont utilisés de façon beaucoup plus judicieuse, mais les moyens de contention pharmaceutiques prévalent toujours, lamentablement.
Les choix portant sur les fonctions corporelles semblent toutefois constituer le dernier bastion du contrôle et de la commodité pour l'établissement. Il est vrai qu'on a tendance à délaisser le cathéter urinaire à demeure en faveur des couches et c'est certainement un changement, mais qui n'a toutefois pas rendu plus humaine la vidange des intestins. Nous devrions peut-être offrir au patient un lavement quotidien à un moment et à un endroit qui préservent mieux sa dignité. On accepte de plus en plus que les personnes atteintes de démence ne veulent pas toutes manger davantage ou n'en ont pas toutes besoin3. Il faut envisager l'alimentation artificielle comme une option seulement. Même en présence d'un risque modéré d'aspiration, l'alimentation naturelle constituera parfois le meilleur choix. Il ne faut contrer la décision des patients au sujet des fonctions corporelles que s'il est vraiment justifié de le faire3,4.
Les professionnels de la santé doivent se rappeler que l'aptitude à décider est fonction non pas de l'âge du patient ou de sa maladie, mais bien de chaque personne en cause et de la décision à prendre.
Nous suggérons d'évaluer avec plus de précision l'aptitude à décider. Il ne faudrait pas donner de directives à moins que le dossier du patient comporte une inscription claire, un peu comme on le fait dans les cas d'allergie ou de réaction aux médicaments, précisant l'aptitude de l'intéressé à prendre des décisions dans chacun des 4 domaines indiqués ci-dessus. L'exercice du contrôle, quel qu'en soit le niveau viscéral, peut constituer le dernier vestige de notre aptitude à conserver notre humanité.
Footnotes
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Avec l'équipe de rédaction de l'éditorial (Paul C. Hébert MD MHSc, Matthew B. Stanbrook MD PhD et Amir Attaran LLB DPhil)