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Le 21 décembre 2006, le ministre de la Santé Tony Clement a annoncé la nomination du président du conseil d'administration, de la présidente et de huit membres du conseil de l'Agence canadienne de contrôle de la procréation assistée1. Cette nouvelle agence fédérale est chargée de réglementer les cliniques de fertilité, de prendre des décisions sur les recherches portant sur les cellules souches d'embryons humains et de conseiller M. Clement au sujet de la procréation assistée2. Or, pour une agence à qui l'on confie le mieux-être génésique de la population canadienne, elle a eu une naissance lente et problématique. Résultat, 2 seulement des 10 membres du conseil sont au nombre des 25 personnes dont un comité de sélection expert réuni par Santé Canada sous la direction du gouvernement libéral précédent a recommandé la candidature. Un porte-parole de M. Clement a déclaré au JAMC que le «nouveau gouvernement» était insatisfait de la courte liste initiale et voulait rendre le groupe plus représentatif. Or, c'est le contraire qui semble s'être produit. Au moins 4 des 8 membres du conseil (qui n'appartiennent pas à l'exécutif) ont déclaré publiquement leur position socialement conservatrice au sujet d'enjeux reliés directement au mandat du conseil d'administration, dont le président a des liens politiques avec le Parti conservateur. De plus, on y constate une absence notable d'experts des traitements de fertilité et de la recherche sur les cellules souches. Et encore pire, le conseil ne compte aucun représentant des patients.
Pourquoi la population canadienne devrait-elle s'intéresser à la question? Parce que la recherche sur les cellules souches d'embryons humains, les traitements de fertilité et les enjeux reliés aux techniques de reproduction ont prouvé à maintes reprises qu'ils mettent en cause des choix éthiques et moraux se répercutant bien au-delà des milieux médicaux et scientifiques. Une démarche plus adaptée, largement représentative et surtout transparente de sélection des membres du conseil d'administration donnerait de la légitimité à la nouvelle agence avant qu'elle ait à faire des choix difficiles. Il est alarmant de constater que le «nouveau gouvernement» du premier ministre Stephen Harper, celui-là même qui a adopté la Loi sur la responsabilité3 et qui a fait campagne pour la transparence au cours des élections de 2006, semble s'être ingéré lourdement dans la sélection des dirigeants et des membres du conseil d'administration de l'Agence canadienne de contrôle de la procréation assistée.
On peut imaginer la surprise du comité de sélection lorsque le gouvernement fédéral n'a tenu à peu près aucun compte de ses choix mûrement réfléchis. Cette décision a non seulement gaspillé le temps des membres du comité et l'argent des contribuables (le comité de sélection a siégé pendant deux jours, ce qui n'a certainement pas été bon marché), mais elle a aussi établi un précédent quant à la façon dont le gouvernement traite les universitaires dont il sollicite les conseils experts. Le gouvernement actuel semble s'être moqué du processus original dans le cadre duquel on a invité tous les Canadiens qualifiés à poser leur candidature au conseil d'administration.
Le gouvernement actuel fait passer un message limpide, soit qu'il attache plus de valeur au contrôle qu'à la transparence dans la prise de décision, qu'il favorise l'idéologie plutôt que l'expertise scientifique et clinique et qu'il croit que l'on peut tout simplement se passer de la représentation des patients. Nous craignons que même si le conseil d'administration permet aux experts et au public d'intervenir dans tous les grands dossiers et publie ses délibérations, la controverse entourant sa création, l'absence de représentation des patients et les préjugés apparemment conservateurs sur le plan social de certains membres entacheront l'institution et viendront hanter le travail futur de l'agence. Les États-Unis ont été très mal servis lorsque des administrations successives, tant démocrates que républicaines, ont transformé la santé génésique en enjeu politique. Manquant totalement d'uniformité, les politiques américaines sur la santé de la reproduction sont devenues une cause de clivage social et ont un effet sur l'accès aux soins.
Est-ce là ce que nous voulons au Canada?
M. Clement a quand même des options. Il pourrait renvoyer les membres du conseil de l'agence et s'en remettre à la courte liste originale, ou porter le nombre actuel de membres du conseil de 10 à 13, soit le maximum permis par la loi. Ses nouveaux membres pourraient provenir de la courte liste et inclure des experts en fertilité, des spécialistes en recherche sur les cellules souches et, le plus important, des représentants des patients.
Même si M. Clement choisit une de ces solutions, il reste toutefois que la réputation du gouvernement a été endommagée. Sa décision de ne pas tenir compte de son propre comité de sélection expert soulève une question de plus grande envergure, soit celle de la transparence. Le gouvernement devrait réfléchir attentivement à sa position à cet égard et les partis d'opposition devraient veiller à ce que le gouvernement respecte les objectifs de responsabilité qu'il s'est imposés lui-même. En attendant, si l'on vous demande de siéger à un groupe consultatif expert, vous devriez y réfléchir deux fois plutôt qu'une : votre temps pourrait être mieux utilisé ailleurs.