L'assurance santé privée : Entrée côté cour pour sortir côté jardin? =========================================================================== La décision de la Cour suprême, qui abolit les lois du Québec interdisant l'assurance-maladie privée pour des services couverts en vertu de la Loi canadienne sur la santé, continue d'attiser les passions des médecins et des prestateurs de soins. Au cours de leur assemblée annuelle, les délégués de l'Association médicale canadienne ont reproché ses défaillances au système de santé public. Par une majorité des deux tiers, les médecins ont opté pour une étude de six mois, après laquelle on envisagerait l'implantation d'une «assurance santé privée supplémentaire». La motion à l'effet contraire présentée par l'Association canadienne des médecins résidents a été rejetée dans la même proportion. Les opinions des associations médicales nationales ont un poids considérable chez les politiciens, surtout lorsque le financement des soins de santé nationaux constitue leur poste budgétaire le plus important. En prenant le virage de la gauche vers la droite, l'AMC donnera aux conservateurs l'audace nécessaire pour exercer des pressions en faveur des soins privés parallèles et renforcera la détermination des sociodémocrates à réparer le système public. *Est-il possible* de réparer le système public de telle façon qu'il dispense les services médicaux nécessaires de la façon définie (vaguement) dans la Loi canadienne sur la santé? Il ne faut pas croire que la décision de la Cour favorise les soins de santé privés plutôt que publics. La Cour a reconnu la légitimité du monopole de l'État sur les services de santé. Un tel monopole, tout comme les monopoles privés, est acceptable et parfois souhaitable sur le plan constitutionnel à condition d'observer les principes d'équité et de justice distributive. Un système de santé monopoliste qui ne dispense pas les soins promis en temps opportun, de façon impartiale et équitable ne se conforme toutefois pas à ce critère de la loi. L'État doit remédier aux dysfonctions de son monopole ou permettre aux citoyens de chercher à obtenir des soins ailleurs (et aux sociétés privées d'assurance santé de les acheter). Le cas à l'origine du jugement de la Cour suprême est survenu au Québec et portait sur une personne qui, de l'avis de la Cour, a dû attendre trop longtemps pour subir une intervention chirurgicale élective en orthopédie. Le jugement de la Cour, par quatre voix contre trois, s'applique à strictement parler seulement au Québec. Un des membres de la majorité, soit la juge Marie Deschamps, a même limité son jugement à la Charte des droits et libertés du Québec et ne s'est pas prononcée sur celle du Canada. Le gouvernement du Québec a demandé et reçu un sursis d'un an qui pourrait sans doute être prolongé à deux ou trois ans si le Québec en faisait la demande. Entre-temps, le gouvernement Charest ira aux urnes. L'électorat du Québec est sans doute le plus sociodémocrate du Canada. Il est peu probable que M. Charest défendra la cause de l'assurance-maladie privée en campagne électorale. Il voudra plutôt réparer le système de santé public. Il y aura trois façons de procéder à cette fin. Tout d'abord, toutes les commissions d'experts sur les soins de santé du Québec et du reste du Canada ont recommandé d'augmenter l'efficience du système public en amenant les médecins, les infirmières et les autres prestateurs de soins de santé à travailler en équipes et non en couloirs parallèles. Les gouvernements peuvent utiliser le bâton et la carotte pour accélérer ce changement. Deuxièmement, il est possible d'affecter davantage d'argent du Trésor aux soins de santé, comme l'a proposé l'Alliance sur les temps d'attente. Troisièmement, parce que les options 1 et 2 se sont révélées tellement difficiles à mettre en œuvre, les gouvernements peuvent réduire le nombre de services assurés par leur monopole et les céder au secteur privé. Comme l'assurance des médicaments d'ordonnance est l'élément des soins de santé publics qui connaÎt la croissance la plus rapide, il n'est pas improbable que les gouvernements désinscrivent certains médicaments d'ordonnance en augmentant le nombre des produits qu'il est possible d'obtenir sans ordonnance, ce qui délestera le coût sur les patients. Les médicaments contre l'hyperlipidémie et l'hypertension sont de bons candidats. Larry Lynd et ses collaborateurs présentent des commentaires à ce sujet dans un article publié plus tôt en ligne1. Cette solution a-t-elle des chances d'être plus populaire auprès des électeurs? Au cours des débats et des discussions à venir, il faut nous rappeler qu'à peu près tout le monde s'entend pour dire que les soins de santé privés coûtent plus cher et sont moins efficients que les soins publics. De récentes recherches ont démontré que c'est le cas2,3. Dans un article publié en accéléré sur le web4, Stephen Duckett décrit la situation australienne, où 40 % des hospitalisations se font dans le secteur privé. La décision de la Cour suprême et la tendance de l'AMC vers la droite qui en découle auront des répercussions sur les interventions gouvernementales. Toutefois, comme l'électorat du Canada appuie en général le système public, nous nous attendons à ce que les gouvernements et la plupart des provinces, voire la totalité, choisissent de redresser le système public ou au moins de lui administrer des soins palliatifs pour apaiser l'insatisfaction de la population et se conformer en même temps aux exigences de la Cour suprême. — *JAMC* ## References 1. 1.Lynd LD, Taylor J, Dobson R, Willison DJ. Prescription to over-the-counter deregulation in Canada: Are we ready for it, or do we need to be? [éditorial]. *JAMC* 2005;173(7) [publication anticipée en direct le 13 septembre 2005]. Disponible : [www.cmaj.ca/cgi/rapidpdf/cmaj.050586v1](http://www.cmaj.ca/cgi/rapidpdf/cmaj.050586v1). 2. 2.Devereaux PJ, Heels-Ansdell D, Lacchetti C, Haines T, Burns KEA, Cook DJ, et al. Payments for care at private for-profit and private not-for-profit hospitals: a systematic review and meta-analysis. JAMC 2004;170(12):1817-24. [Abstract/FREE Full Text](http://www.cmaj.ca/lookup/ijlink/YTozOntzOjQ6InBhdGgiO3M6MTQ6Ii9sb29rdXAvaWpsaW5rIjtzOjU6InF1ZXJ5IjthOjQ6e3M6ODoibGlua1R5cGUiO3M6NDoiQUJTVCI7czoxMToiam91cm5hbENvZGUiO3M6NDoiY21haiI7czo1OiJyZXNpZCI7czoxMToiMTcwLzEyLzE4MTciO3M6NDoiYXRvbSI7czoyMDoiL2NtYWovMTczLzYvNTY3LmF0b20iO31zOjg6ImZyYWdtZW50IjtzOjA6IiI7fQ==) 3. 3.Woolhandler S, Himmelstein DU. The high costs of for-profit care. JAMC 2004;170(12):1814-5. [FREE Full Text](http://www.cmaj.ca/lookup/ijlink/YTozOntzOjQ6InBhdGgiO3M6MTQ6Ii9sb29rdXAvaWpsaW5rIjtzOjU6InF1ZXJ5IjthOjQ6e3M6ODoibGlua1R5cGUiO3M6NDoiRlVMTCI7czoxMToiam91cm5hbENvZGUiO3M6NDoiY21haiI7czo1OiJyZXNpZCI7czoxMToiMTcwLzEyLzE4MTQiO3M6NDoiYXRvbSI7czoyMDoiL2NtYWovMTczLzYvNTY3LmF0b20iO31zOjg6ImZyYWdtZW50IjtzOjA6IiI7fQ==) 4. 4.Duckett SJ. Living in the parallel universe in Australia: public medicare and private hospitals. *JAMC* 2005;173(7) [publication anticipée en direct le 13 septembre 2005]. Disponible : [www.cmaj.ca/cgi/rapidpdf/cmaj.051011v1](http://www.cmaj.ca/cgi/rapidpdf/cmaj.051011v1).