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Il n'est de médecin qui ne permettra à un collègue de décimer toute une région plutôt que d'enfreindre le lien de l'étiquette professionnelle en le dénonçant. — Bernard Shaw, Préface sur les médecins, The Doctor's Dilemma, 1911
Les patients veulent faire confiance à leurs médecins et en ont besoin. La confiance dans les médecins est toutefois à la baisse. Ce recul reflète en partie la méfiance plus généralisée du public à l'égard des experts et de l'autorité, caractéristique de notre époque. Le public est aussi de plus en plus conscient de l'inégalité de la qualité et de la surveillance des soins médicaux. Il sait que les événements indésirables se produisent en nombres étonnamment élevés,1 il a entendu parler des comptes rendus de mauvaise gestion hospitalière et professionnelle (par exemple, les décès survenus en chirurgie cardiaque pédiatrique à Winnipeg)2 et des méfaits professionnels — dont l'exemple contemporain le plus spectaculaire est celui des 250 patients assassinés en 27 ans par le Dr Howard Shipman, médecin de famille britannique.
Au Canada, la responsabilité de garantir au public que ses médecins sont compétents appartient aux ordres des provinces. Au Royaume-Uni, cette responsabilité incombe au General Medical Council (GMC), maintenant scruté à la loupe suite aux accusations portées contre le Dr Shipman par la police (et non par le GMC). On a en effet constaté que ce dernier non seulement n'est pas à la hauteur, mais est tellement embourbé dans l'incompétence et les intérêts acquis professionnels que son existence même est remise en question.
Dans le cinquième rapport sur l'Enquête Shipman qu'elle a présenté au Secrétaire d'État à la Santé du R.-U.,3 Dame Janet Smith est convaincue que si le GMC avait bien fait son travail, les assassinats en série du Dr Shipman auraient été découverts et qu'on y aurait mis fin des décennies plus tôt. En dépit de la devise «Protéger les patients — Guider les médecins» imprimée en évidence sur son papier à lettre, le GMC, écrit-elle, s'est concentré «excessivement sur les intérêts des médecins et pas assez sur la protection des patients». Elle présente 109 recommandations dont la plupart sont applicables à d'autres pays, y compris le Canada.
Dame Janet exhorte toutes les organisations de soins de santé, des hôpitaux jusqu'aux pratiques autonomes, à adopter un cadre de gestion visant avant tout l'amélioration continue de la qualité, la préservation de normes rigoureuses et l'instauration d'un environnement propice à l'excellence. Une telle structure de gouvernance clinique sous-entend notamment de l'éducation continue, de bons systèmes de gestion (pour repérer les erreurs), des vérifications cliniques, la gestion des risques et «un ethos d'ouverture et d'imputabilité».
Le rapport porte toutefois principalement sur l'évaluation continue des médecins. Dame Janet accuse le GMC de ne pas avoir évalué adéquatement «l'aptitude à pratiquer» des médecins et d'avoir échoué lamentablement à établir un «ethos d'ouverture et d'imputabilité» chez les médecins et dans les établissements de santé.
Tout comme les organismes provinciaux du Canada, le GMC a reconnu tout récemment à peine qu'il faut évaluer continuellement l'aptitude des médecins à pratiquer : un seul examen d'admission et quelques lettres de référence ne suffisent pas. Dame Janet a cependant constaté que les évaluations mises en œuvre par le GMC (et en partie volontaires) étaient inadéquates, particulièrement parce qu'elles visaient presque exclusivement les connaissances : «Pour que la vérification soit le moindrement utile comme évaluation sommative [et non seulement formative], elle doit pouvoir repérer les quelques médecins qui ont quelque chose à cacher». Dame Janet préconise aussi la surveillance du profil d'établissement d'ordonnance des médecins et une surveillance semblable des références, des plaintes des patients et des données sur la mortalité spécifique aux médecins, pour mentionner quelques aspects seulement.
Peu de médecins n'ont pas connu ce que Shaw décrivait de façon satirique et que Dame Janet a documenté sombrement : la pratique douteuse de collègues dont on est témoin sans toutefois la signaler. Parmi les nombreux décès causés par le Dr Shipman et que Dame Janet a analysés, celui de Mme Renate Overton, patiente de 46 atteinte d'asthme, est devenu le symbole de l'échec des médecins lorsqu'il s'agit d'identifier les collègues inaptes à pratiquer. Au cours d'une visite à domicile pour une crise aiguë d'asthme, le Dr Shipman a administré à Mme Overton 20 mg de morphine par voie IV ou IM en une seule injection. L'arrêt cardiopulmonaire qui a suivi et pour lequel on l'a réanimée et admise aux soins intensifs l'a laissée dans un coma irréversible. Elle est morte un an plus tard. Seuls les médecins dirigeants des soins intensifs savaient que le Dr Shipman avait administré une dose mortelle d'un médicament contre-indiqué, mais l'infraction n'a jamais été signalée et l'on n'a pas questionné non plus le Dr Shipman.
La confiance envers les médecins constitue le cœur même de nos activités. Nous avons besoin de solides organismes d'autorisation et de réglementation, et il faut accélérer la mise en œuvre de structures de gouvernance clinique chargées notamment de favoriser un climat propice à l'ouverture et à l'imputabilité. Sinon, quelqu'un d'autre s'en chargera à notre place. — JAMC