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Le énième patient est le dernier patient à participer à une étude contrôlée randomisée après avoir satisfait aux critères restrictifs d'admission — une plage d'âge prescrite (sujets rarement vieux ou jeunes), sexe (sujets souvent masculins), absence de comorbidités spécifiées, sujets prenant peu d'autres médicaments ou aucun, état éveillé, sujets orientés et coopératifs, désireux de participer, qui se conforment au traitement, anglophones et vivant assez près de la clinique ou de l'hôpital participant.
Le patient n plus 1 se présente à votre bureau : il ou elle est plus âgé, un peu confus, prend de multiples médicaments (vous êtes au courant de certains et vous devinez qu'il y en a d'autres), se conforme mal au traitement, présente la plupart ou l'ensemble des comorbidités qui excluent de l'étude et certaines autres que vous n'avez pu encore définir, et ses visites à la clinique dépendent de l'horaire personnel et de la capacité de conduire d'un voisin tout aussi âgé.
Comme il n'est pas inscrit à l'étude clinique, le patient n plus 1 n'est pas inclus non plus dans l'examen systématique, la méta-analyse ou le guide de pratique. Aucun des algorithmes de diagnostic et de traitement que vous connaissez n'offre une voie précise dans le cas du patient n plus 1. Pour traiter le patient n plus 1, il faut établir des antécédents détaillés, s'en remettre à l'examen médical et à quelques interventions de diagnostic facilement disponibles, à la connaissance pharmacologique de plusieurs catégories de molécules et à la capacité de se rappeler instantanément des derniers avertissements au sujet des effets indésirables et des interactions médicamenteuses — sans oublier une estimation de la probabilité que le patient n plus 1 prenne vraiment les pilules que vous lui avez prescrites.
Vous connaissez les guides cliniques que vous devez suivre, mais ils ne semblent pas s'appliquer dans le cas du patient n plus 1. Sans mentionner plusieurs autres raisons de votre irritation face au guide, y compris le fait que vous soupçonnez de plus en plus que le biais de publication déforme les données probantes, que les données sur les événements indésirables sont sous-déclarées et que les sociétés pharmaceutiques exercent une influence généralisée sur les études qu'elles subventionnent et sur l'élaboration des guides, et que vous savez qu'en pratique, on évalue un médicament en regard de solutions de rechange disponibles et non du placebo imposé dans une étude d'approbation de médicaments.
Ce fossé entre les études cliniques et les guides, d'une part, et la pratique clinique, de l'autre, s'aggravera probablement avec chaque progrès d'importance en génomique, en particulier en pharmacogénomique, du moins à court terme. Par exemple, même s'il est certain que les antagonistes des récepteurs β-adrénergiques (β-bloquants) améliorent le pronostic chez les patients atteints d'insuffisance cardiaque globale, il est également vrai que le traitement aux β-bloquants provoque des événements indésirables chez près de 43 % des patients atteints d'insuffisance cardiaque1. Il se peut que même de faibles doses d'essai ne soient pas tolérées. On a toutefois identifié récemment des variantes génétiques du cytochrome P450 2D6 (qui contrôle le métabolisme des β-bloquants) et des récepteurs β1-adrénergiques (qui contrôlent la réaction au traitement aux β-bloquants) ce qui évoque la possibilité d'identifier des patients atteints d'insuffisance cardiaque globale qui sont plus (ou moins) susceptibles de bénéficier du traitement ou de subir des événements indésirables2.
Pour appliquer ces nouveaux renseignements pharmacogénomiques au patient n plus 1, nous aurons toutefois besoin, comme Muszkat et Stein le concluent dans leur étude récente, «d'études d'envergure supplémentaires» qui tiennent compte de ces génotypes identifiés3. À court et moyen terme, il est probable que les études en cours qui visent des groupes encore plus limités de patients en fonction de leur génotype rendront encore plus exaspérante l'adéquation algorithmique du patient n plus 1. Les essais porteront sur des patients qui ont des génotypes spécifiques, tandis que la pratique clinique continuera de porter sur des phénotypes non spécifiés. Nous pouvons toutefois espérer que la génomification de la médecine réduira éventuellement le mauvais appariement entre les patients participant aux études et les patients n plus 1. Particulièrement lorsque le patient n plus 1 est génotypé.
Sans données probantes spécifiques provenant d'études contrôlées randomisées pertinentes au caractère particulier du patient n plus 1, comment procéder pour conseiller les patients? Peut-être comme les médecins l'ont toujours fait, en se fondant sur une compréhension profonde des dilemmes du patient et sur une solide connaissance des sciences fondamentales. Et, ce qui est le plus difficile, en trouvant suffisamment de temps pour réfléchir à fond à chaque problème. — JAMC