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De plus en plus de preuves, y compris un rapport de Bhandari et ses collaborateurs publié dans le présent numéro (voir page 477), indiquent que les études cliniques commanditées par des intérêts commerciaux penchent en faveur des résultats positifs. Laurence Hirsch, vice-président des communications médicales chez Merck, soutient dans un commentaire d'accompagnement (voir page 481) que même si les sociétés pharmaceutiques sont susceptibles d'accorder la «priorité» aux études qui offrent la plus grande probabilité de produire des «rendements positifs», les sources de partialité sont difficiles à éliminer des études cliniques, peu importe d'où provient leur financement. Il est toutefois clair qu'un pourcentage important des résultats d'études cliniques ne sont tout simplement jamais rendus publics. La plupart ne sont pas dévoilés parce qu'on n'a pas démontré l'effet du traitement — c'est ce qu'on appelle une étude «négative». Dans d'autres cas, toutefois, les résultats des études représentent un risque commercial. L'investissement énorme nécessaire pour mettre au point de nouveaux médicaments et instruments médicaux et réussir à leur faire occuper une part du marché exerce sur les entreprises des pressions pour qu'elles suppriment les résultats susceptibles de ralentir ou d'étouffer les ventes. Il ne faut donc pas s'étonner que l'on garde sous clé des données provenant de certaines études cliniques.
En dissimulant des données défavorables sur l'efficacité et l'innocuité, les sociétés pharmaceutiques trompent les médecins, leurs patients et peut-être leurs actionnaires. Il y a encore pire : cette dissimulation constitue un abus flagrant de la confiance que les sujets de recherche accordent en toute liberté aux chercheurs. La manœuvre est particulièrement flagrante dans le contexte des études cliniques portant sur des inhibiteurs spécifiques du recaptage de la sérotonine (ISRS) chez les enfants. Même s'il n'est pas facile de diagnostiquer une dépression dans la vie affective souvent turbulente des enfants et des adolescents, à 18 ans environ 20 % des adolescents auront vécu un épisode majeur de dépression d'une durée de quelques mois et qui menace de récidiver. Cet important marché de l'angoisse chez les enfants et les parents a attiré les sociétés pharmaceutiques.
Psychiatre et chercheuse clinique, Jane Garland a participé à quelques études sur les ISRS chez les enfants (voir page 489) qui n'ont pas toutes été publiées. Pour pouvoir analyser l'information sur un produit avant de participer à une étude commanditée par l'industrie, elle a dû signer une entente de non-divulgation d'une durée de 10 ans. Ces renseignements frappés d'un embargo comprenaient un sommaire de données négatives issues d'études antérieures qui montraient l'inefficacité d'un médicament déjà commercialisé. Le Dr Garland nous a affirmé, ainsi qu'à d'autres interlocuteurs, qu'elle avait décidé de «ne jamais plus participer à une étude financée par l'industrie à moins qu'on en modifie radicalement la structure et la gestion». Elle se plaint du fait que les médecins chercheurs n'ont pas pris collectivement position au sujet de la divulgation de données d'étude.
Il y a dissimulation aussi à l'échelon de la réglementation gouvernementale. Comme les entreprises qui veulent faire approuver un médicament doivent signaler toutes les études aux organismes de réglementation, Santé Canada ne peut ignorer les études dissimulées et les preuves contradictoires sur l'efficacité et l'innocuité. Or, menottés par des lois qui ont des buts divergents — c.-à-d. fournir au public des médicaments et des instruments médicaux sécuritaires et efficaces et protéger des intérêts commerciaux — les responsables de la réglementation sont trop souvent muets.
Les rapports sur les effets indésirables de médicaments sont d'autres preuves dissimulées que détiennent les organismes de réglementation. Andrew Herxheimer et Barbara Mintzes (voir page 487) signalent que même au Royaume-Uni, qui a un des meilleurs régimes de déclaration volontaire au monde, les effets secondaires des médicaments servant à traiter la dépression sont insuffisamment déclarés et, par conséquent, sous-estimés.
L'industrie, les gouvernements et les chercheurs doivent changer d'attitude. Les chercheurs doivent exiger d'avoir accès à toutes les données recueillies au cours d'études cliniques auxquelles ils participent1 et à des données agrégées et suffisamment anonymisées provenant de rapports sur des réactions médicamenteuses indésirables. Les chercheurs devraient pouvoir produire d'autres analyses et interprétations des résultats d'études cliniques et de déclarations d'événements indésirables, et les publier. Il faudrait même les encourager à le faire. Les médecins, les sujets de recherche et le public ne devraient exiger rien de moins.
Hirsch a annoncé que «Merck a adopté des lignes directrices où nous nous engageons à publier les résultats d'études cliniques de vérification d'hypothèses sans égard aux résultats», ce qui nous encourage. Même si certains pourront trouver des lacunes dans les détails, les nouvelles lignes directrices de Merck constituent une mesure audacieuse — que les milieux de la recherche et les médecins devraient appuyer et encourager généralement. Les Compagnies de recherche pharmaceutique du Canada devrait annoncer qu'elle appuie pleinement les lignes directrices de Merck et les intégrer à ses lignes directrices qui s'adressent à tous ses membres.
Nous espérons que dans le «renouvellement» proposé de la législation canadienne sur la protection de la santé, le gouvernement se conformera aux valeurs énoncées que sont «l'ouverture», «l'imputabilité» et la «primauté de la santé et de la sécurité»2. Dans la réglementation des études cliniques portant sur des médicaments et des instruments médicaux, la sécurité et l'efficacité doivent toujours l'emporter sur les droits de propriété. — JAMC