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En 1990, un groupe international indépendant, la Commission sur la recherche en santé au service du développement, a signalé que sur les 30 milliards de dollars US de fonds publics et privés consacrés à la recherche en santé dans le monde, 5 % seulement portaient sur les problèmes des pays en développement, problèmes qui comptent pourtant pour 93 % du fardeau mondial de la «mortalité évitable»1. En 1998, l'investissement mondial dans la recherche en santé avait plus que doublé pour atteindre 73,5 milliards de dollars US2,3, mais la proportion des fonds consacrés aux pays en développement était et demeure essentiellement inchangée. Le fait que 10 % seulement de la recherche en sciences de la santé visent spécifiquement les problèmes de 90 % de la population du monde — le ratio 10/90 — ne constitue qu'un des aspects de l'écart profond qui sépare les riches des pauvres au niveau de la capacité en soins de santé.
Outre les anciens fléaux que constituent la malnutrition et les maladies endémiques, les pays en développement sont maintenant aux prises avec les fardeaux sanitaires imposés par l'industrialisation, l'urbanisation et la dégradation de l'environnement. Les gouvernements et les organismes d'aide internationaux cherchent quand même à réaliser des progrès, même si les gouvernements occidentaux, y compris le nôtre, ont réduit en général leurs engagements stables en aide étrangère. Les augmentations annoncées de l'aide étrangère ressemblent souvent au jeu des gobelets : les fonds frais annoncés ne sont pas toujours aussi frais qu'on le pense et sont souvent liés à des investissements commerciaux à l'étranger. Ce sont maintenant des multinationales privées qui posent une partie des actes philanthropiques les plus concrets, ce qui est ironique : les contributions financières à la santé mondiale de la Fondation Bill et Melinda Gates, par exemple, dépassent maintenant le budget total des programmes de l'Organisation mondiale de la santé.
Comme ils ne peuvent faire de dons, les journaux médicaux peuvent-ils vraiment faire quelque chose au sujet des inégalités profondes sur le plan de la capacité en santé ou, plus précisément, de la capacité de recherche sur la santé? Les rédacteurs de certains journaux hurlent dans le vent en publiant des éditoriaux, des commentaires4,5,6 et des exposés7, en prêchant la politique de l'accès ouvert à leurs publications8, voire même en se rendant à l'occasion en Afrique subsaharienne9. Les cyniques pourraient dire que ce n'est pas tant hurler que péter dans le vent — cela soulage un peu le rédacteur, mais l'effet se dissipe rapidement. On aimerait croire toutefois que les rédacteurs de journaux médicaux doivent, entre autres responsabilités, analyser la portée sociale de la médecine et préconiser notamment l'équité mondiale en santé. En ce sens, les journaux ne sont pas simplement des publications : ce sont aussi des centres d'action qui peuvent appuyer le travail des prestateurs de soins de santé et des chercheurs dans le monde en développement. Il s'agit en partie de cultiver entre les médecins un sentiment de solidarité professionnelle qui soit mondial et non simplement national et de percevoir l'éducation biomédicale comme une entreprise nécessairement internationale. Sur le plan pratique, il pourrait être nécessaire à cette fin d'analyser la composition de nos conseils (et du personnel) de rédaction10, de parrainer des rédacteurs visiteurs de pays en développement, d'accueillir des conférences, d'organiser des échanges, de faire don d'abonnements ou de les subventionner (p. ex., par l'initiative HINARI), d'appuyer l'accès ouvert à Internet, de fournir de l'appui rédactionnel aux chercheurs du monde en développement et de fixer des objectifs à la couverture rédactionnelle et scientifique d'enjeux internationaux de la santé.
C'est pourquoi, à compter du présent numéro, nous espérons étendre notre couverture des enjeux de la santé internationale. Les nouvelles, les analyses et les articles sur la pratique qui paraÎtront dans la nouvelle chronique générale «Synopsis» (voir page 25) seront désormais plus susceptibles d'inclure du contenu international et d'être rédigés par des collaborateurs internationaux. De même, nous espérons publier davantage de recherches originales et de critiques tirées de contextes internationaux comme «l'aide mémoire» sur la lèpre que nous présentons dans ce numéro (page 71). Les rédacteurs de journaux doivent rendre compte non seulement de ce qu'ils publient dans leurs pages, mais aussi de ce qui n'y paraÎt pas : au milieu des percées pharmaceutiques prestigieuses, des arcanes des régimes de rémunération des médecins, des scandales de l'incurie locale et des querelles au sujet de la réforme de la santé, nous ne pouvons nous permettre de négliger la perspective de la maladie et de la santé dans le reste — c'est-à-dire la majeure partie — du monde moderne. — JAMC