Dans le «Message pour les Canadiens» qu'il signait en préface au rapport final de sa Commission sur les soins de santé, M. Roy Romanow écrivait que : «Les Canadiens n'acceptent plus de se faire dire que les choses vont mieux ou que la situation s'améliorera; ils veulent qu'on leur en fournisse la preuve. Ils ont le droit de savoir ce qui se passe avec les listes d'attente, (…) les budgets des soins de santé, le nombre de lits d'hôpitaux, de médecins et d'infirmières»1. Dans sa toute première recommandation, portant sur la création d'un Pacte canadien sur la santé, la Commission confie aux gouvernements la responsabilité notamment de «procéder à un examen périodique du rendement et du fonctionnement du système de santé et d'en informer le public». Cette responsabilité est enchâssée dans la deuxième recommandation de la Commission portant sur la création d'un Conseil de la santé du Canada afin d'établir des indicateurs communs, de mesurer le rendement, d'établir des normes comparatives pour la qualité, l'accès et les résultats, d'évaluer certains aspects du système (technologie) et, par-dessus tout, de «rendre compte publiquement».
Cela est tout aussi clair pour les patients et les prestateurs de soins de santé que pour M. Romanow : les Canadiens considèrent que les valeurs sous-tendant l'assurance-maladie constituent un «aspect intrinsèque de leur citoyenneté»1. Il s'agit de valeurs nationales. La compétence des provinces en matière de soins de santé est enchâssée dans la Loi constitutionnelle de 1867 et émane d'une époque où la santé était considérée essentiellement comme une «matière de nature locale ou privée»2. Même s'il est toujours vrai que les administrateurs des soins de santé, les politiciens et les patients veulent établir, pour la prestation des soins de santé, des solutions qui répondent à leurs besoins régionaux et locaux, les Canadiens d'aujourd'hui recherchent aussi des normes fiables et un accès équitable à des services de grande qualité peu importe où ils vivent. Même si ni la Loi canadienne sur la santé ni la Charte des droits et libertés ne donnent aux Canadiens le «droit» aux soins de santé publics, nous considérons néanmoins qu'il s'agit effectivement d'un droit.
Il faut garantir ce droit par un consensus sur les valeurs que M. Romanow a cherché et réussi à établir en organisant des réunions publiques régionales et en sollicitant la contribution d'organisations de professionnels de la santé et de patients. Il a défini ce consensus dans son rapport et présenté un plan raisonnable, abordable et pratique pour renforcer et préserver l'assurance-maladie. La surveillance par un conseil national indépendant constitue un élément central de cette vision.
Les gouvernements provinciaux et fédéral ont certainement agi rapidement après la publication du rapport final de M. Romanow pour conclure un nouvel accord sur la santé, d'une durée de cinq ans, qui injectera 27 milliards de dollars en nouveaux transferts fédéraux dans les budgets provinciaux des soins de santé. On doute toutefois déjà que ces fonds réussiront à instaurer les réformes structurelles préconisées par M. Romanow. En considérant le Conseil de la santé du Canada comme un «cheval de Troie qui permettrait au fédéral de s'infiltrer dans leur champ de compétence»3, les provinces ont décidé de faire marche arrière, de retarder la mise en œuvre du Conseil et de proposer qu'on en fasse un projet pilote disposant d'un financement minimal qui rendrait compte aux premiers ministres provinciaux et territoriaux plutôt que directement à la population. On envisage aussi maintenant de créer ce Conseil émasculé sans les organismes mêmes qui permettraient d'évaluer les résultats, soit l'Institut canadien d'information sur la santé et l'Office canadien de coordination et de l'évaluation des technologies de la santé. On envisage le Conseil non pas comme un moyen d'évaluer la prestation des soins de santé pour le compte de tous les Canadiens, mais plutôt comme un moyen de surveiller dans quelle mesure les premiers ministres respectent l'accord de février sur la santé. Depuis quelque temps, l'Alberta et l'Ontario considèrent le Conseil comme un simple jeton de poker lancé sur la table de leurs différends fiscaux avec Ottawa au sujet de la maladie de la vache folle et du SRAS, ce qui a obligé la ministre de la Santé Anne McLellan à annoncer à la fin de juillet4 qu'un conseil national de la santé sera mis en œuvre avec ou sans les provinces — décision qui a malheureusement confirmé l'opinion qu'ils ont du Conseil comme la créature d'Ottawa.
Les coûts de l'assurance-maladie continuent de grimper et ont franchi récemment la barre des 100 milliards de dollars. Même s'il n'est pas nécessaire d'être un génie pour reconnaÎtre que nous avons besoin d'un organisme indépendant disposant des ressources suffisantes pour surveiller la façon dont ces 100 milliards de dollars sont dépensés, il est probable que sans le leadership conjugué du fédéral, des provinces et des professions, nous n'auront pas de Conseil et qu'il s'agira simplement d'une autre entité fédéraliste dysfonctionnelle.
Les Canadiens veulent que l'assurance-maladie perdure et qu'elle soit de grande qualité. Ils sont prêts à payer. Ils ne s'intéressent à peu près pas aux administrateurs du régime et font de moins en moins confiance aux politiciens fédéraux et provinciaux pour produire des rapports équitables sur son bon fonctionnement. Un conseil de la santé disposant d'un financement suffisant, contrôlé par un conseil d'administration constitué de représentants du public, des prestateurs de soins de santé et des gouvernements, et dont le président sera élu par les membres, ne constitue pas un ajout à un système d'assurance-maladie renouvelé et viable : c'est plutôt une de ses pierres angulaires. — JAMC