En 1796, lorsqu'Edward Jenner a provoqué l'immunité à la variole chez James Phipps, âgé de huit ans, il a reconnu qu'il espérait que sa découverte «deviendrait essentiellement bénéfique pour l'humanité»1. Même si son expérience échouerait aujourd'hui à l'examen éthique, ce fut l'un des moments les plus productifs du Siècle des lumières. D'autres lumières dans ce domaine ont été à la fois glorieuses et troublées. Le deuxième vaccin, contre la rage, n'a été mis au point qu'en 1885 et a été suivi du vaccin contre la peste en 1897, et ensuite des vaccins — tous mis au point avant la Seconde Guerre mondiale — contre la diphtérie, la coqueluche, le tétanos et la fièvre jaune. La mise au point de vaccins a accéléré récemment : les vaccins contre Haemophilus influenzae de type b, l'hépatite A et B, la grippe, l'infection à pneumocoque et à méningocoque et la varicelle se sont ajoutés aux vaccins bien connus contre la poliomyélite, la rougeole, les oreillons et la rubéole. (La mise au point et la distribution des vaccins dans le monde en développement constituent bien entendu une toute autre question.)
Les progrès scientifiques sont assortis de nouvelles complexités. Les premiers vaccins luttaient contre des maladies courantes ayant souvent des conséquences graves. Des vaccins plus récents préviennent des infections moins courantes comme les infections à pneumocoque et à méningocoque, qui peuvent néanmoins avoir des conséquences fatales ou graves, ou des maladies courantes comme la varicelle, qui ont rarement des effets graves2.
Il y a une autre complexité : l'immunisation quasi complète de populations entières au cours de l'enfance a produit, des décennies plus tard, des populations complètes d'adultes dont l'immunité à certaines maladies infantiles s'estompe3,4. La coqueluche, par exemple, est maintenant aussi courante chez les adultes que chez les enfants, ce qui soulève d'importantes questions sur le besoin de revacciner les adolescents et les adultes.
Même si des groupes d'experts comme le Comité consultatif national de l'immunisation formulent des recommandations nationales, la mise en œuvre incombe aux provinces. Face à la rentabilité variable de nouveaux vaccins de plus en plus nombreux, les provinces ont hésité à étendre leur programme de vaccination. Il en découle une mosaïque de politiques (voir Nouvelles, page 598). À Terre-Neuve-et-Labrador, par exemple, les enfants ne sont pas vaccinés de routine contre le pneumocoque, mais ils le sont en Alberta. Tous les enfants sont vaccinés contre le méningocoque au Québec, mais pas en Ontario.
Une jeune fille d'Ottawa est morte récemment d'une méningite à méningocoque. Il est triste de se demander ce qui aurait pu se passer si elle avait vécu un mille plus loin, à Gatineau, où la vaccination contre le méningocoque est pratique courante. Ceux d'entre nous qui vivent près de la frontière américaine pourraient aussi se demander pourquoi 75 % des enfants américains sont maintenant vaccinés contre la varicelle, tandis que peu d'enfants canadiens le sont. Il y a encore plus alarmant : le manque de leadership national est tel que le Canada ne suit même pas l'utilisation du vaccin contre la varicelle ni les taux de la maladie. Les lacunes régionales deviendront plus complexes à mesure que de nouveaux vaccins arriveront sur le marché. Lorsqu'un vaccin contre le papillomavirus deviendra disponible5, refusera-t-on cette protection aux jeunes filles de Terre-Neuve-et-Labrador et de l'Ontario?
À mesure que l'on oublie les fléaux du passé et que l'on recommande d'autres vaccins, le lobby antivaccination devient de plus en plus inquiétant6,7. Si l'on ne vaccine pas un pourcentage important (habituellement plus de 95 %) de la population, il n'y aura pas d'immunité générale et des éclosions se répéteront. Une politique rationnelle ne peut être qu'intégrée et uniforme. Même sans compter les avantages de l'immunité générale, la politique actuelle du Canada qui consiste à recommander des vaccins mais à ne pas en appuyer la distribution dans le contexte de programmes nationaux n'est pas très sensée. Les coûts d'achat et d'administration d'une seule dose de vaccin peuvent être prohibitifs pour une personne. En Ontario, par exemple, le vaccin antipneumococcique pour un enfant coûte 370 $. Si le vaccin devenait un élément de base de la vaccination infantile, son coût dégringolerait et il deviendrait plus rentable.
Roy Romanow a recommandé l'adoption d'une stratégie nationale de vaccination au Canada8. Il ne faut pas se contenter d'un comité consultatif. Même si un tel groupe d'experts est indispensable, nous avons aussi besoin de leadership national, de promotion nationale et d'un financement national. Nous appuyons la lettre ouverte de Monika Naus et David Scheifele à la ministre de la Santé Anne McLellan, qui paraÎt dans ce numéro (voir page 567), et nous proposons instamment la création d'un Bureau national de la vaccination. — JAMC