Nous espérons que la proposition de Roy Romanow sur la création d'une nouvelle Agence canadienne du médicament1 est la dernière, parce que nous espérons que ce sera finalement la bonne. Dans son rapport, le juge Emmett Hall a formulé le même concept à l'état embryonnaire en proposant d'étendre le rôle du Comité consultatif sur les médicaments qui existait en 19642. Le rapport Gagnon de 19923 établissait un «plan directeur détaillé pour un système national de pharmacovigilance» et les ministres de la Santé et des groupes de travail fédéraux–provinciaux discutent depuis de moyens d'améliorer l'approbation des médicaments et la pharmacovigilance.
Les dépenses annuelles consacrées aux médicaments d'ordonnance ont décuplé depuis 1980 pour atteindre 12,3 milliards de dollars en 2001 (12 % du total des dépenses de santé)1. Les Canadiens font remplir 300 millions d'ordonnances par année — c'est environ 10 par adulte et enfant. Près de 22 000 produits pharmaceutiques sont disponibles au Canada (dont 5200 sur ordonnance) et un nouveau arrive sur le marché à tous les 4,5 jours1. Nous avons besoin plus que jamais d'une évaluation impartiale des nouveaux produits, d'une surveillance postcommercialisation sans entrave des effets indésirables, ainsi que de moyens efficaces de tenir les prestateurs de soins de santé et les patients informés.
M. Romanow propose une agence nationale qui serait chargée de ces tâches. Elle devrait «assurer la sécurité, la qualité et la rentabilité de tous les médicaments avant leur approbation au Canada» et, ce qui est tout aussi important, «soumettre les médicaments à un examen continu, en surveiller la consommation et les résultats dans l'ensemble du pays et partager des données et des analyses de haute qualité et à jour» avec les médecins, les chercheurs, les responsables des politiques et la population1. Il propose de lui attribuer aussi d'autres fonctions comme l'évaluation de la rentabilité, l'accélération du mécanisme d'approbation des nouveaux médicaments, l'établissement d'un formulaire national afin de réduire les disparités entre les régions et même la négociation des prix des médicaments pour le compte des provinces.
Certaines des fonctions de réglementation de base que M. Romanow envisage font déjà partie des attributions de la Direction des produits thérapeutiques (DPT) de Santé Canada. Les contribuables se demanderont peut-être pourquoi il faudrait décanter cette vieille piquette dans des bouteilles neuves. Les ministères de la Santé ne doivent-ils pas agir comme gardiens de la sécurité et de l'intérêt publics?
Bien sûr, mais le gouvernement est aussi le gardien de l'industrie, qui est en outre son plus proche collaborateur dans la réglementation de celle-ci. Citant des controverses survenues récemment aux États-Unis entre la FDA et des sociétés pharmaceutiques4, M. Romanow signale qu'on a besoin d'un système «muni de garanties solides» pour surmonter les conflits d'intérêts qui peuvent surgir dans la relation entre les organismes de réglementation et l'industrie.
La relation entre l'État et l'industrie pharmaceutique a certainement «pris un virage» au cours de la dernière décennie5 face aux compressions budgétaires et administratives, à une idéologie de partenariats entre les secteurs public et privé et à des régimes de recouvrement des coûts qui, dans le cas de l'approbation des médicaments, transforment les fabricants en clients auxquels les organismes de réglementation fournissent un service5. À plus grande échelle, les accords sur le commerce international et l'énergie avec laquelle les multinationales défendent leurs droits de propriété intellectuelle sont à l'origine de lois sur les brevets et autres mesures de protection qui semblent favoriser bien plus les actionnaires que les patients.
La création d'une Agence canadienne du médicament ne changera pas les caractéristiques économiques de la grande entreprise et de la recherche d'envergure, mais elle pourra toutefois tourner davantage les projecteurs vers certaines obligations d'imputabilité. Tout d'abord, une telle agence mettra davantage l'accent sur la surveillance postcommercialisation de l'utilisation, des résultats, des effets indésirables et de la rentabilité. Elle garantira ensuite que les patients et leurs médecins ont accès à des renseignements exacts et impartiaux sur les médicaments, leurs avantages, la bonne façon de les utiliser et leurs effets indésirables. Sur un plan plus symbolique mais tout aussi crucial, la nouvelle agence rendrait compte directement au Parlement et disposerait de pouvoirs fédéraux de réglementation, qui n'existent actuellement pas, ce qui tracerait une ligne de démarcation plus nette entre la réglementation de l'industrie et les mobiles politiques.
Nous préconisons la création d'une agence canadienne du médicament depuis que la mort évitable, causée par l'effet indésirable d'un médicament6,7,8, de Vanessa Young, âgée de 15 ans, a démontré tragiquement les lacunes de la pharmacovigilance au Canada. Même si nous pourrions ergoter sur certains des détails, nous exhortons la ministre de la Santé McLellan et son gouvernement à donner suite avant la fin de leur mandat en cours à la recommandation de M. Romanow qui porte sur la création d'une agence nationale du médicament. L'heure est à l'action. — JAMC