Même si les efforts déployés pour enrayer la propagation du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) ont connu un succès remarquable dans certains pays, il semble peu probable que l'on réussira à éradiquer bientôt le SRAS de la planète. En Chine, le nombre de nouveaux cas continue de grimper et menace de déborder la capacité des services de santé publique locaux. L'éradication mondiale devra peut-être attendre la mise au point d'un vaccin.
Pourtant, au moment d'aller sous presse, la situation au Canada semble devenue plus encourageante. Les éclosions à Toronto et Vancouver semblent confinées, grâce à des cliniciens astucieux qui ont reconnu les caractéristiques inusitées des premiers cas et sont demeurés à l'affût des premiers signes de l'émergence en Extrême-Orient d'une nouvelle pneumonie atypique1. Il faut aussi remercier les dirigeants de la santé publique qui, par leurs efforts inlassables, ont fait un travail superbe en dépit des préoccupations soulevées récemment (y compris dans cette chronique) au sujet de l'état de préparation du système de santé publique2.
La guerre des reproches est néanmoins déclenchée : les ministres provinciaux critiquent leurs homologues fédéraux et les politiciens fédéraux se canardent mutuellement. Le premier ministre de l'Ontario a expliqué qu'il considérait que le SRAS relève de la compétence des experts de la médecine et non de celle des politiciens. Personne ne voudrait certes que des programmes politiques déforment la réponse à une crise en santé publique. Il importe quand même toutefois de nous demander si nous avons les bonnes structures pour assurer un leadership adéquat, tant médical que politique, dans une telle crise. Nous devons nous assurer d'avoir la capacité de repérer les maladies infectieuses émergentes et de les prendre en charge. Il faut prendre au sérieux les répercussions épidémiologiques des voyages aériens internationaux, de la mondialisation et de l'industrialisation de l'approvisionnement en aliments, ainsi que des changements climatiques.
Dans l'histoire, les maladies contagieuses se sont toujours propagées en suivant les voies du commerce et de l'exploration. Des agents infectieux importés peuvent maintenant se retrouver aussi près qu'au supermarché local ou chez les prochains arrivants à n'importe quel aéroport international. En 2000, presque 100 millions de passagers non résidents sont débarqués en Chine, à Hong Kong et au Vietnam et presque 500 000 résidents de ces pays se sont rendus aux États-Unis3. Moins de six semaines après le signalement officiel des premiers cas de SRAS dans la province du Guangdong, en Chine, la carte du monde était pointillée d'éclosions de SRAS dans 27 pays.
Les premiers cas de SRAS étaient apparus au Guangdong dès le 16 novembre 2002. Le ministère chinois de la Santé a prévenu l'Organisation mondiale de la santé trois mois plus tard, soit le 11 février, d'une éclosion ayant infecté 305 personnes et causé cinq décès3. L'OMS a lancé un avertissement mondial le 12 mars seulement, lorsque la maladie a atteint Hong Kong. À mesure que de nouvelles menaces infectieuses feront leur apparition, nous aurons besoin d'un meilleur système de détection précoce et de préalerte qui fonctionnera aussi dans des régions surpeuplées (et habituellement pauvres) disposant de ressources limitées. Nous avons des détecteurs d'armes : nous avons peut-être besoin aussi d'un groupe tout aussi déterminé de détecteurs de maladies.
Le premier cas de SRAS au Canada a été diagnostiqué le 13 mars, le lendemain de la diffusion de l'avertissement mondial de l'OMS4. Or, deux semaines plus tard, certains patients atteints du SRAS n'étaient pas encore traités en isolation, ce qui a peut-être contribué à l'éclosion généralisée à Toronto, surtout chez les professionnels de la santé5,6. Notre système de surveillance et de notification est-il adéquat? Les cliniciens des premières lignes obtiennent-ils les renseignements dont ils ont besoin au moment où ils en ont besoin? Les dirigeants locaux et provinciaux de la santé publique ont-ils la formation et les ressources nécessaires pour assurer une surveillance efficace et contrôler la maladie? Même avant le SRAS, les preuves démontraient amplement que non2.
Il y a enfin le problème vexant au Canada du leadership et des compétences en santé publique. La collaboration fédérale– provinciale en matière de santé publique est-elle adéquate? Santé Canada devrait-il diriger ou encadrer? Beaucoup de politiciens découvrent à quoi ressemble une courbe épidémique et la raison de son importance. Ils ont essayé de réagir à une épidémie de peur en sortant officiellement dans les restaurants du quartier chinois de Toronto et en accordant de l'aide financière de courte durée aux personnes et aux hôpitaux touchés. Ce qu'il nous faut maintenant, c'est analyser de près la capacité à long terme de réaction du secteur de la santé publique. Le prochain «SRAS» pourrait facilement être plus contagieux et plus virulent. Nous avons été chanceux que l'éclosion initiale de SRAS se produise à Toronto, qui dispose de ressources cliniques et de santé publique excellentes et abondantes. Ce n'est pas le cas partout au Canada2. Nous devons nous interroger (encore) sur la sagesse d'intégrer dans une énorme bureaucratie gouvernementale notre système national public de contrôle et de prévention des maladies. Nos gouvernements devraient voir plus loin que les courbes épidémiques d'aujourd'hui et se préparer à la prochaine éclosion. La création d'un Bureau canadien du contrôle et de la prévention des maladies constituerait un bon premier pas dans cette voie. — JAMC
Footnotes
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Publié sur www.jamc.ca le 7 mai 2003