Il ne s'agit pas là du rêve d'un idéaliste, mais d'un programme praticable à la portée des moyens financiers et pratiques du Canada … — Emmett Hall, Commission royale d'enquête sur les services de santé, 1964
La démocratie ne peut fonctionner sans rendre de comptes. — Janice Gross Stein, The Cult of Efficiency, 2001
M. Romanow a déterminé que les Canadiens préfèrent vivre avec les imperfections d'un système de santé public plutôt qu'avec celles des soins de santé privés. Nous pensons qu'il a raison. Même si la confiance que l'on accorde au système de santé est ébranlée, M. Romanow affirme que l'assurance-maladie, «le miracle public de l'après-guerre au Canada»1, demeure notre programme social le plus «prisé». Qui plus est, il pense que nous pouvons renforcer l'assurance-maladie en lui donnant plus d'importance dans les domaines des soins à domicile, de l'assurance-médicaments, des services de diagnostic et de la santé des Autochtones. Il nous exhorte à persévérer dans notre rêve national. Nous devons trouver la volonté et l'argent nécessaires pour maintenir le système.
Conclusion bienvenue, mais qui n'étonne pas. On souhaitait avec ferveur la survie du système public de soins de santé dans le mandat de la Commission Romanow, qui devait «assurer à long terme la viabilité d'un système de soins de santé universellement accessible et financé sur les deniers publics»2. Ce mandat s'est révélé un exercice en grande partie théorique qui a consisté à réunir des données (et de belles paroles) afin de réfuter l'idée corrosive pour la société selon laquelle il est impossible de maintenir un système public de soins de santé dans le marché moderne. La viabilité, mantra du discours sur les politiques publiques aussi bien en environnement qu'en développement international, exige que nous cessions de tenter d'obtenir, ou même de désirer, ce que nous n'avons pas les moyens de payer. La discussion de M. Romanow sur la viabilité réfute cette logique en insistant explicitement sur les valeurs et implicitement sur les priorités : l'assurance-maladie, soutient-il, est aussi viable que nous souhaitons qu'elle le soit.
M. Romanow insiste toutefois aussi sur le fait que la viabilité de notre système public est une question de preuves et non simplement de désir. Des preuves démontrent, affirme-t-il, que les services privés coûtent plus cher à administrer que les services à payeur unique; rien ne prouve que leurs résultats sont meilleurs. Comment alors dissiper les doutes à l'origine de la création de cette commission, la liste de griefs allant des périodes d'attente intolérables jusqu'à l'approvisionnement en sang contaminé, en passant par la mauvaise répartition des fonds servant à l'achat de matériel de diagnostic? La solution de M. Romanow : l'imputabilité. L'époque où l'imputabilité était tout simplement implicite dans le concept de l'administration publique est révolue3. Le public, qui est non plus un simple citoyen, mais plutôt un consommateur averti, a soif d'information, de souplesse et de transparence. L'imputabilité doit être explicite et M. Romanow propose à cette fin de créer de nouvelles entités nationales – un pacte sur la santé, un conseil de la santé et un organisme de gestion des médicaments – et d'enchâsser le concept d'imputabilité dans la Loi canadienne sur la santé.
Dans notre régime public (à quelques exceptions près), le gouvernement ne fournit pas les services de santé qu'il paye, mais il doit quand même en garantir la qualité. M. Romanow rattache ses espoirs d'imputabilité aux normes factuelles, à la surveillance et à l'évaluation en proposant l'établissement d'un «cadre national pour les dossiers de santé électroniques» et de nouveaux organismes d'évaluation des médicaments et des technologies, ainsi que de recherche sur les politiques.
Ces infrastructures d'information rendront compte de la qualité, de la rapidité, de l'efficacité des coûts et des résultats – et il est clair que toute imputabilité établie dans la confiance du public doit tenir compte de tous ces facteurs. L'imputabilité de notre système de santé doit toutefois être reliée aussi aux valeurs affirmées par le processus politique. Ces valeurs incluent le concept des soins de santé comme droit des citoyens, la volonté de partager le fardeau de l'infortune, la cohésion sociale, l'équité et la justice procédurale. C'est cette vaste compréhension de l'imputabilité qui, selon nous, a poussé M. Romanow à préconiser un plus grand rôle pour les initiatives d'origine fédérale dans le domaine des soins de santé.
Comme on pouvait s'y attendre, des provinces ont regimbé devant la possibilité d'obtenir plus d'argent fédéral à certaines «conditions», comme si elles étaient les seules gardiennes légitimes de l'intérêt public. Il est toutefois difficile de voir comment on pourrait gérer sans ficelles la marionnette pataude des soins de santé au Canada. Il serait pire de laisser les querelles antifédéralistes laminer tout espoir de changement significatif. Rejeter une vision nationale sur les normes de soin, des services plus compatissants et une surveillance responsable, cela nous semble non seulement faire preuve de manque d'imagination, mais aussi être pervers. — JAMC