Lorsque l'Alliance mondiale pour les vaccins et la vaccination (GAVI)1 se réunira le mois prochain au Sénégal, elle sera confrontée à une nouvelle menace à sa mission louable, qui est d'instaurer l'accès mondial à la vaccination infantile : la guerre mondiale contre le terrorisme. Les dirigeants politiques, les philanthropes et les sociétés pharmaceutiques participants auront besoin de toute la détermination et l'ingéniosité qu'ils peuvent mobiliser pour appuyer la GAVI dans sa guerre contre les maladies évitables par la vaccination.
La campagne mondiale de vaccination en cours a commencé en 1974 lorsque l'OMS a mobilisé ses forces pour faire face à une réalité inacceptable, soit que 5 % seulement des enfants du monde bénéficiaient des vaccins existants contre la diphtérie, la coqueluche et le tétanos (DTP), la polio et la rougeole (ainsi que le vaccin BCG, qui ne protège qu'en partie seulement). Presque trois décennies plus tard, la vaccination infantile s'établit en moyenne à quelque 75 %.
Ce qui signifie qu'un enfant sur quatre n'est pas vacciné. Chaque année, 1,7 million d'enfants meurent de maladies évitables par la vaccination. Sans compter ceux qui ne sont pas protégés par le vaccin DTP, contre la polio ou la rougeole, il n'y a presque aucun enfant des pays pauvres qui est vacciné contre le VIH et l'hépatite B, vaccinations qui se font maintenant de routine dans les pays industrialisés. Cet écart se creuse avec l'utilisation dans les pays riches seulement de nouveaux vaccins contre la varicelle, le pneumocoque et le méningocoque. Ces deux dernières infections causent des millions de morts dans les pays en développement chaque année.
Injecter plus d'argent et améliorer l'organisation de l'administration des vaccins existants ne manqueraient certes pas d'aider2 mais il y a d'autres défis à relever. Tout d'abord, les pays pauvres sont souvent aux prises avec des souches de maladies différentes de celles qui circulent dans les pays riches. Le vaccin anti-pneumoccocique utilisé au Canada ne protège pas contre les souches les plus prévalentes en Gambie, par exemple. Ce qui signifie que les gouvernements doivent encourager les fabricants à mettre au point des vaccins pour les marchés pauvres en facilitant les essais et abaissant les obstacles à la délivrance de licences, en offrant des incitations fiscales supplémentaires pour les activité de RD, en protégeant contre les poursuites en justice causées par des réactions aux vaccins et en offrant des prix réalistes pour des vaccins3. Il y a ensuite plusieurs maladies, comme l'infection par le rotavirus (qui cause 125 millions de cas de diarrhée et 600 000 morts par année), ainsi que la tuberculose et le paludisme (qui causent ensemble 6,6 millions de morts par année) qui exigent des vaccins entièrement nouveaux. Ce qui prend du temps, de l'argent et, parfois, plusieurs essais4.
La guerre contre le terrorisme constitue toutefois peut-être le défi le plus insidieux que devra relever la GAVI. Les États-Unis et d'autres pays détournent déjà des ressources des besoins du tiers monde pour s'attaquer aux menaces que la variole et le charbon représentent pour le monde industrialisé – la première est une maladie qui n'a pas causé une seule mort depuis 1977 et le deuxième est tellement rare que même une possibilité d'infection fait les manchettes. Est-ce sage? Le vaccin antivariolique produit des taux relativement élevés d'effets secondaires sérieux, ce qui est tolérable lorsque la maladie est prévalente, mais ne l'est pas lorsque la menace est éloignée. Compte tenu de la rareté de la maladie, on n'a jamais mis à l'épreuve le vaccin contre le charbon au cours d'un essai clinique. On n'en connaÎt pas l'efficacité ni l'innocuité.
Il est irresponsable de consacrer des ressources à des risques improbables de guerre biologique causée par un État renégat ou des organisations extrémistes aux dépens de populations déjà affligées gravement par une maladie holoendémique. Ce n'est pas le moment de reculer devant la guerre aux maladies évitables par la vaccination. — JAMC