La Loi 114 du Québec ===================== Claude Dufresne, 51 ans, en proie à son deuxième infarctus du myocarde, est arrivé trop tard de six minutes à l'urgence du Centre hospitalier du Centre-de-la-Mauricie, hôpital de 142 lits de Shawinigan- Sud. Les portes de l'urgence étaient en effet fermées pour la nuit, parce qu'aucun des 60 médecins de famille ou internistes de l'hôpital n'était disponible pour assurer le service. M. Dufresne est décédé en chemin vers la salle d'urgence ouverte la plus près, à quelque 30 minutes de là. Dans le contexte des élections provinciales imminentes, la réaction du ministre de la Santé, François Legault, n'a pas été de créer un nouveau groupe de travail, mais plutôt de déposer et d'adopter une nouvelle loi1. En vertu de la Loi 114, les administrateurs d'hôpitaux aux prises avec des problèmes de dotation de leur service d'urgence doivent dresser une liste de tous les médecins de famille et urgentologues qui, au cours des quatre années précédentes, ont travaillé au moins une journée à l'urgence. Un médecin dont le nom apparaÎt sur la liste doit «se présenter aux [services d'urgence] de l'établissement où il est assigné et participer aux gardes prévues [par l'administrateur]». Des amendes sont prévues en cas d'inobservation ou d'encouragement à l'inobservation. La relation médecin–patient est fondée sur la confiance, et la relation médecin– gouvernement, sur la nécessité. Les médecins ont trahi cette confiance parce qu'ils n'ont pas assuré la dotation en effectifs de l'urgence d'un hôpital régional important. Il faudra de la patience, de la détermination et peut-être quelques sacrifices pour regagner la confiance des patients. En revanche, les dommages que la Loi 114 a infligés à la relation médecin– gouvernement sont inguérissables, à tout le moins pour le reste du mandat de cette administration. On observe que déjà, les propos de certains médecins se corsent, tandis qu'ils parlent, peut-être injustement (puisqu'il ne s'agit pas d'une guerre), de conscription (voir page 681). Apparemment, les étudiants en médecine du Québec auraient commencé à éviter les stages facultatifs en urgence de peur de figurer sur les listes gouvernementales. De toute évidence, les difficultés que pose le recrutement d'infirmières et de médecins qualifiés pour nos services d'urgence bondés, chaotiques, sous-financés et frustrants ne datent pas d'hier. L'actuel gouvernement du Québec travaillait en collaboration avec les médecins pour tâcher de résoudre les problèmes à Shawinigan depuis au moins deux ans. Voilà des décennies que les gouvernements sont aux prises avec des problèmes de listes d'attente et de dotation dans les urgences. Les problèmes des urgences résultent d'un ensemble de facteurs : manque de soins à domicile adéquats qui relègue les patients aux lits d'hôpitaux, apathie du gouvernement face aux recommandations de réforme des soins primaires de sa propre Commission Clair2, baisse des inscriptions aux facultés de médecine, primes d'encouragement à la retraite offertes aux médecins et, fait peut-être plus important encore, transformation de la médecine d'urgence. Une grande partie des soins médicaux actifs qui étaient auparavant offerts dans les nombreux lits d'hôpitaux sont maintenant pratiqués dans les urgences. La formation en médecine d'urgence a été allongée à trois ans pour les médecins de famille et à cinq ans pour les spécialistes. Pas étonnant que les médecins devant faire face à des périodes de garde dans les services d'urgence lamentablement surpeuplés et insuffisamment dotés en personnel de soutien, où ils seront confrontés avec des problèmes de diagnostic et de traitement de plus en plus complexes sans avoir reçu une formation postdoctorale satisfaisante, se désengagent. Les solutions aiguës que proposent les gouvernements en difficulté aux problèmes chroniques ont d'habitude tendance à échouer. La situation actuelle ne fera pas exception. Cela dit, cette loi infligera en outre un grave traumatisme à la profession médicale du Québec. Il existe une ligne de démarcation très claire, quoique ténue, entre exercer des pressions sur les médecins au moyen de mesures incitatives et dissuasives, et les faire plier de force au moyen d'une loi. C'est une ligne qu'il ne fallait pas franchir. — *JAMC* ## References 1. 1. Loi 114, *Loi visant la prestation continue de services médicaux d'urgence.* Assemblée nationale, Deuxième session, 36e Lég., Québec, 2002. 2. 2. Commission d'étude sur les services de santé et les services sociaux. *Les solutions émergentes – Rapport et recommandations.* Québec : Ministère de la Santé et des Services sociaux; 2000.