Les hôpitaux sont des endroits dangereux. Dans un contexte où les malades prennent de multiples médicaments, subissent de nombreuses interventions et sont soignés par des équipes travaillant par quarts et constituées de multiples professionnels de la santé dont le travail est de plus en plus complexe, les erreurs deviennent inévitables. L'étude canadienne sur les erreurs médicales lancée récemment par les cochercheurs Ross Baker et Peter Norton1 (voir page 181) confirmera inévitablement ce que des études semblables réalisées aux États-Unis, en Australie, en Suède et au Royaume-Uni ont démontré : les erreurs médicales sont d'une fréquence alarmante. Si nous nous fondons sur l'étude récente et très citée du US Institute of Medicine2 pour extrapoler, il ne faudrait pas nous étonner d'apprendre qu'il y a de 4000 à 9000 décès évitables par année chez les patients hospitalisés.
Comme la plupart des pays occidentaux, le Canada n'a pas de stratégie nationale systématique de surveillance et de prévention des erreurs médicales. Dans l'industrie de l'aviation, la déclaration des erreurs est non seulement encouragée, mais obligatoire. Dans le secteur des soins de santé, le problème tombe trop facilement entre les mains d'avocats spécialisés dans le domaine de la faute professionnelle. Notre système d'assurance contre la faute professionnelle et d'indemnisation des préjudices oblige à blâmer le praticien. Les avocats des deux parties présentent des hypothèses différentes de ce qui s'est produit en visant principalement à augmenter ou à réduire toute somme adjugée. Notre compréhension des erreurs médicales émane de la cacophonie des affirmations et des dénis sous forme de sous-produit insaisissable. Dans ce système, la vérité est relative et la prévention, inimportante.
La détection des événements indésirables par l'étude des réclamations pour faute professionnelle a aussi un caractère incomplet inhérent : la majorité des cas qui aboutissent devant les tribunaux ne mettent en cause aucun événement indésirable et ceux qui découlent d'une négligence réelle sont très peu nombreux. En fait, les cas réels d'événements indésirables et de négligence ont tendance à ne pas se rendre jusqu'aux tribunaux3. Comme moyen d'indemniser les victimes de préjudice, le système est non seulement inefficace, mais injuste, car il favorise ceux qui ont l'endurance et les moyens nécessaires pour recourir aux tribunaux : habituellement, les personnes plus jeunes et plus nanties, et non les personnes âgées et les pauvres4.
Si nous comptions sur l'assurance contre la faute professionnelle des pilotes pour améliorer la sécurité aérienne, personne ne prendrait un vol commercial. Dans le domaine des soins de santé, nous comptons sur l'assurance contre la faute professionnelle. L'industrie de l'aviation, elle, recueille systématiquement des données sur les erreurs et les quasis-collisions et en fait rapport, évalue les rapports et instaure ensuite des mesures préventives. Les activités visent non pas à attribuer le blâme, mais à prévenir des incidents en améliorant les milieux de travail des intéressés.
Il faut faire la même chose dans le domaine des soins de santé. Nous avons besoin d'un système qui encouragera la déclaration des erreurs au lieu de la décourager, qui visera avant tout à améliorer la qualité et la prévention au lieu de blâmer l'individu, et qui indemnisera tous les patients subissant un préjudice — rapidement, équitablement et uniformément5. Il importe, avant la publication des résultats de l'étude de Baker et Norton en 2003, que les professions de la santé préconisent l'élaboration d'un système national de déclaration des erreurs médicales et une assurance contre la faute médicale sans responsabilité. Le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada joue un rôle de premier plan. Les associations nationales de médecins, d'infirmières et d'hôpitaux doivent aussi intervenir. C'est maintenant qu'il faut agir — et non dans deux ans, lorsque les manchettes affirmeront que les hôpitaux sont dangereux. — JAMC