Les 15 dernières années ont démoralisé la profession médicale. Imposées par l'incertitude budgétaire et des politiques néolibérales, les compressions débilitantes des budgets de la santé se sont conjuguées à une progression graduelle de la privatisation (et de la recherche de profits), ainsi qu'au remplacement de l'idéal de l'administration publique par l'idéologie de la gestion d'entreprise. Les médecins, qui se trouvent au point de convergence de la prestation des soins, ont été considérés comme la cause des dépenses «excessives» consacrées aux soins de santé – excès par lequel on a justifié les compressions – et comme des gestionnaires incompétents. Les médecins chefs de services et de départements d'hôpitaux ont été remplacés par des gestionnaires qui n'avaient jamais vu de malades ni de mourants et toute évocation du professionnalisme était considérée avec soupçon comme un intérêt personnel à peine voilé.
Beaucoup de médecins ont réagi par la frustration, la colère et le cynisme. Certains se sont tout simplement retirés du débat. Les facultés de médecine forment des diplômés dotés d'un grade qui n'est pas tellement éblouissant, qui ont 100 000 $ de dettes et qui ont appris l'art de l'autopréservation : protéger leur temps personnel, contrôler leurs heures de travail et mettre leurs besoins personnels sur le même pied que ceux des patients (ou même les faire passer avant). On soutient que les soins de grande qualité qu'exige la société exigent à leur tour de protéger avec respect ceux qui les dispensent. Au Canada, par exemple, l'AMC a proclamé une Charte des médecins1, que certains critiques ont vue comme une déclaration des droits des médecins visant à servir leurs intérêts2, tandis que d'autres l'ont considérée comme une correction essentielle à l'érosion des «conditions de travail raisonnables»3.
Une troisième option consiste à quitter cette vallée de l'ombre, à grimper jusqu'au sommet d'une montagne et à proclamer une nouvelle vision. C'est ce qu'a fait un groupe de médecins européens et nord-américains. La Charte du professionnalisme médical (Charter on Medical Professionalism), proposée par l'American Board of Internal Medicine Foundation, l'American College of Physicians–American Society of Internal Medicine et la Fédération européenne de médecine interne (voir page 945)4 dépasse cette période de désenchantement en adaptant les principes d'Hippocrate pour qu'ils résistent aux effets corrosifs de la mondialisation, du corporatisme, de la privatisation et de l'appât du gain.
La Charte repose sur trois principes fondamentaux : la primauté du bien-être des patients, le respect de leur autonomie et un engagement de justice sociale. Ces principes entraÎnent 10 «responsabilités professionnelles» dont la plupart sont bien énoncées dans les publications sur l'éthique médicale. Le principe de la justice sociale débouche sur trois responsabilités très modernes : la juste distribution des ressources limitées (qui met l'accent sur la prestation de soins dont les coûts sont efficaces); l'amélioration de l'accès aux soins (en éliminant les obstacles reliés à l'éducation, aux facteurs financiers et sociaux) et la prise en charge des conflits d'intérêts, y compris les relations entre l'industrie et les meneurs d'opinion (comme les chercheurs, éditorialistes, rédacteurs de guides de pratique et même rédacteurs de journaux).
On reprochera à la Charte d'être idéaliste. Elle l'est. La profession doit toutefois demeurer idéaliste et fondamentalement altruiste si elle veut survivre comme profession et non être au service du concept selon lequel le marché est capable de produire à la fois la prospérité et l'équité. Il faut lire la Charte, y réfléchir et en discuter. En mettant l'accent sur la justice sociale, elle répond à des préoccupations particulièrement contemporaines et pertinentes, et nous espérons que les médecins et leurs organisations professionnelles la recevront à bras ouverts. – JAMC