À l'échelle mondiale, les sociétés pharmaceutiques consacrent plus de 40 milliards de dollars US par année à la recherche-développement. Il peut en coûter jusqu'à 600 millions de dollars US pour lancer un nouveau médicament sur le marché1. L'escalade des coûts a poussé les sociétés pharmaceutiques à se tourner vers les organisations de recherche contractuelle. Aux États-Unis, des sociétés privées ont reçu 60 % des contrats de recherche des sociétés pharmaceutiques l'année dernière. Révolue l'époque où les études cliniques se déroulaient dans l'atmosphère pure des milieux universitaires sous la direction de chercheurs dont les recherches et la carrière étaient libres (quoique'imparfaitement) des commanditaires.
Les sociétés pharmaceutiques savent que des recherches entachées par la faute professionnelle ou la malhonnêteté entraÎnent un cheminement coûteux vers le retrait de médicaments et les poursuites en justice. Les pressions qui s'exercent sur elles pour qu'elles trouvent un gagnant sont néanmoins des plus lourdes. Il ne faut donc pas s'étonner lorsque la partialité inhérente de la recherche glisse vers la déformation délibérée ou la suppression de résultats indésirés2,3.
Jusqu'à maintenant, on n'a pas codifié de lignes directrices précises et applicables afin de protéger l'indépendance scientifique des chercheurs (et, en bout de ligne, les intérêts des patients). Face à cette absence de politiques, un groupe de chercheurs canadiens a proposé une série de «règles» afin de régir les contrats de recherche industrielle et universitaire au Canada (voir page 783)4.
Dans la même veine, le Comité international des rédacteurs de revues médicales a adopté de nouvelles politiques sévères pour régir la publication de résultats de recherches commanditées par l'industrie et l'État (voir page 786)5. Ces 11 grands journaux exigeront désormais que les auteurs affirment qu'ils «ont eu entièrement accès à toutes les données au cours de l'étude et (…) acceptent l'entière responsabilité de l'intégrité des données et de l'exactitude de leur analyse». Les rédacteurs garderont en outre le droit de revoir le protocole de l'étude, ainsi que les contrats de financement, avant d'accepter de publier la communication. Le JAMC n'acceptera pas de rapport de recherches réalisées en vertu d'un contrat qui ne satisfait pas à ces normes éthiques.
Les sociétés pharmaceutiques ont soutenu que l'information sur l'efficacité et l'innocuité d'un nouveau médicament est exclusive. Nous soutenons que la propriété de l'information en question est beaucoup plus vaste : la recherche sur la santé est un bien public. Les personnes qui participent volontairement à des études cliniques n'ont pas l'intention qu'on déforme ou étouffe les résultats de leur participation. Le public a un autre intérêt dans la recherche subventionnée par l'industrie : le Trésor subventionne indirectement environ 70 % des coûts sous forme d'incitations fiscales et de dépenses déductibles.
Dans un monde idéal, les conditions nécessaires pour régir la réalisation désintéressée de recherches seraient établies par les commanditaires de l'industrie eux-mêmes au moyen de politiques énoncées clairement afin d'assurer l'indépendance scientifique de la recherche qu'ils subventionnent. Aucun chercheur ne serait tenu de produire des «conclusions» sans avoir accès à toutes les données, sans être libre de toute ingérence dans l'analyse et l'interprétation de celles-ci, tout en ayant la liberté de publier tous les résultats, aussi décevants puissent-ils toutefois être pour l'actionnaire. Entre-temps, les chercheurs font bien de se protéger par des règles sur les partenariats de recherche et les rédacteurs, de jouer le rôle de chien de garde. — JAMC