Il y a quelques semaines, nous avons publié un rapport de Nancy Baxter et du Groupe d'étude canadien sur les soins de santé préventifs au sujet de l'efficacité de l'autoexamen des seins (AES) et des cours d'AES en ce qui concerne la réduction de la mortalité attribuable au cancer du sein1. Le rapport a démontré qu'il est possible d'attribuer à l'AES une augmentation du nombre des biopsies du sein, mais non du taux de survie au cancer du sein, ou même de la détection plus rapide des tumeurs. C'est pourquoi le groupe d'étude a ramené au niveau «D» la recommandation sur l'enseignement routinier de l'AES : c'est-à-dire qu'il y a de «bonnes données probantes» indiquant qu'il ne faudrait pas s'en donner la peine.
Pour beaucoup de femmes et de professionnels de la santé, il semblait s'agir d'une attaque perverse et inutile contre le bon sens. Une des croyances les plus puissantes au sujet du cancer, c'est qu'il vaut mieux prévenir que guérir. La profession médicale et des groupes d'intervention ont préconisé la détection précoce avec tellement de zèle qu'elle est devenue un substitut théorique de la «prévention» et même de la «guérison». On considère que les avantages des programmes de dépistage par mammographie sont réels, mais certains chercheurs qui ont étudié la question de plus près les considèrent comme une illusion2. Les données probantes disponibles indiquent maintenant que les avantages de l'AES sont peut-être le résultat illusoire de rêves en couleur.
Nos conceptions de la maladie et de sa prise en charge portent un lourd boulet idéologique. Dans le cas du cancer du sein, cette idéologie porte sur l'autonomisation qui consiste à donner aux femmes le pouvoir d'établir le programme de recherche, de motiver la prévention et d'agir sur les soins, de prendre le contrôle de leur santé. Lorsque l'article de Baxter a été publié, des femmes ont insisté pour affirmer dans les médias généraux, que ce sont elles, et non pas leur médecin, qui découvrent les cas de cancer du sein. «Le problème est entre vos mains», lisait-on dans les gros titres d'un témoignage de cette nature3. Le pronostic médiocre découlant du cancer avec métastases dont la femme en question était atteinte était-il aussi entre ses mains? On pourrait soutenir que les belles paroles sur le cancer imposent à la patiente un fardeau intolérable de responsabilité et d'autodétermination. Les prédicteurs de l'issue d'un cancer du sein comportent notamment des facteurs occultes comme les mutations géniques, les réactions immunitaires à médiation cellulaire, l'activité mitotique, la rapidité de l'apparition, le taux de croissance, les caractéristiques histologiques et le stade anatomique, notamment. Comme on a déterminé que 29 % des femmes qui ont un cancer du sein au stade 1A ont déjà des micrométastases dans la moelle osseuse4, cela devrait faire réfléchir les défenseurs du dépistage. Plus nous en apprenons, moins nous semblons en savoir. La complexité du cancer est loin de constituer un défi équitable pour une femme, aussi vigilante et bien informée soit-elle. Il faut suivre l'exemple de Baxter et faire preuve d'honnêteté au sujet des préjudices et non simplement des avantages du dépistage et de la prise en charge du cancer.
Le dépistage du cancer n'est pas un rêve : c'est plutôt un champ de mines rempli de surprises et de promesses rompues. Nous avons beaucoup à faire. Oublions les belles paroles pour agir avec plus de franchise. — JAMC