La tâche très difficile qui consiste à reconnaÎtre qu'une personne est atteinte de maladie mentale incombe trop souvent de nos jours aux agents de police.1,2 En période de crise, ils doivent pouvoir distinguer une maladie psychiatrique qui se manifeste par exemple par l'alcoolisme, une toxicomanie, une psychose, une dépression suicidaire ou une manie, du comportement imprudent ou antisocial causé par l'exubérance ou l'aliénation. Il leur arrive de faire des erreurs — on a vu notamment le cas d'un homme agité (chez lequel on a diagnostiqué par la suite une psychose paranoïaque) installé par les policiers à bord d'un autobus à destination d'un ailleurs ≪pas dans ma cour≫ — et d'être la cible de critiques.
De telles erreurs spectaculaires font les manchettes, mais elles détournent l'attention des grandes questions. Les agents de police interviennent en réalité dans une minorité seulement d'urgences psychiatriques aiguës. Les patients transportés aux services psychiatriques d'urgence par des agents de police ont tendance à être de sexe masculin, en état d'ébriété et agressifs.3 Comme des patients psychotiques peuvent perturber l'environnement et être combatifs, il est compréhensible qu'on envoie des agents de police lorsqu'ils troublent la paix. Nous arrêtons-nous toutefois à penser aux patients atteints de maladie mentale que les agents de police peuvent ne pas transporter à l'hôpital? À l'hôpital régional de Timmins, en Ontario, par exemple, 32 (17,6 %) seulement des 182 personnes envoyées au service d'urgence psychiatrique en 1 mois y ont été amenées par des agents de police.4 Presque la moitié des patients se présentent à l'urgence en compagnie de parents ou d'amis et le quart d'entre eux s'y présentent seuls.2
Et que dire des personnes effacées, désespérées ou paranoïaques qui ne se rendent peut-être même pas à l'hôpital? Leurs maladies sont peut-être plus subtiles et insaisissables. Il faut prendre le temps et être attentif pour constater leur désespoir.
Comme on a presque fermé tous les hôpitaux psychiatriques chroniques, des patients atteints de maladies psychiatriques graves vivent au centre-ville, en banlieue et dans de petites villes, souvent seuls et marginalisés ou, ce qui est encore pire, stigmatisés. La désinstitutionnalisation de ces patients est considérée comme ≪le plus important échec des expériences sociales dans l'Amérique du XXe siècle≫.5 Beaucoup trop souvent, les communautés ont peu de ressources pour les aider, voire pas du tout. L'Organisation mondiale de la santé a décidé de s'attaquer au problème par toutes sortes d'efforts, notamment en consacrant la Journée mondiale de la santé (7 avril) à l'amélioration des soins donnés aux personnes atteintes de maladies mentales (voir page 1013).
La médecine ne s'acquitte plus de sa responsabilité de diagnostiquer et de traiter les maladies psychiatriques dans la communauté — afin d'éviter l'appel au service d'urgence 911. Lorsqu'il se produit une urgence liée à la santé mentale, nous pouvons certainement faciliter la tâche des policiers en transférant plus rapidement aux médecins le soin du patient à son arrivée à l'urgence. Il faut toutefois faire plus : il faudrait nous joindre aux services de police aux premières lignes. Les équipes communautaires mobiles de santé mentale réduisent les hospitalisations et évitent des suicides.6 Une étude contrôlée randomisée a montré que l'intervention amicale de bénévole auprès de femmes atteintes de dépression chronique réduit le nombre des rechutes.7
On occulte en grande partie le fardeau mondial énorme que constitue la maladie mentale.8 Comme pour la plupart des grandes questions, il faut commencer d'abord par faire le ménage dans notre propre cour. — JAMC