Les établissements de santé restructurés d'aujourd'hui gardent peu de traces de la définition originale du mot ≪hôpital≫ — autrefois quasi-synonyme de ≪hospice≫, qui signifiait refuge pour voyageurs. On offre à peine une chaise, et encore moins une tasse de café réconfortante, aux membres de la famille des patients entassés dans les cubicules du service d'urgence et qui attendent que le prochain lit se libère pour leur proche malade. Même la signification actuelle du mot — endroit où l'on se rend pour recevoir des soins médicaux, chirurgicaux ou psychiatriques — devient désuète. C'est regrettable, mais à une époque définie par l'escalade des coûts, les études sur l'utilisation et la durée du séjour des patients hospitalisés, on considère que l'hébergement que les hôpitaux offrent aux malades est accessoire et que l'on peut s'en passer. Ce glissement de définition, parallèle aux progrès de la médecine, s'est produit en grande partie en souplesse et avec discrétion. Il devient à l'occasion visible et problématique, comme lorsque le patient qui reçoit son congé est un sans-abri qui n'a nulle part où aller se rétablir.
Plusieurs études, américaines surtout, ont porté sur la durée du séjour des sans-abri comparativement à celle des patients qui ont un domicile. Au cours d'une étude, on a comparé plus de 18 000 hospitalisations de sans-abri adultes aux admissions de personnes à faible revenu disposant d'un domicile et signalé que les sans-abri séjournaient 4,1 jours ou 36 % de plus par admission en moyenne que les autres patients, même après correction pour le diagnostic primaire, une comorbidité et les variables démographiques.1 Le coût moyen s'est établi à 2414 $US par jour supplémentaire d'hospitalisation.
Les raisons non médicales des séjours prolongés des sans-abri ont été démontrées récemment par une étude au cours de laquelle on a évalué une solution innovatrice au problème de la durée du séjour des sans-abri en Californie : l'≪hoptel≫, ou hôpital hôtel.2 La durée moyenne rajustée du séjour ne présente aucune différence significative entre les patients qui ont un domicile et les sans-abri qui ont reçu leur congé à l'hoptel. Les auteurs préconisent la création d'hoptels pour raccourcir le séjour à l'hôpital des sans-abri.
Or, souhaitons-nous vraiment que les hôpitaux se lancent de nouveau dans le domaine de l'accueil? Quel avantage y a-t-il à confiner l'itinérance dans des hôpitaux en les agrandissant ou, comme on l'a fait dans le cas de l'Hôpital Princess-Margaret à Toronto, en les convertissant en refuges de court séjour?3 Une telle médicalisation des itinérants détourne l'attention de la pauvreté et des pénuries de logements qui en sont la cause.4
En Ontario, par exemple, le gouvernement conservateur a annulé, en 1995, la construction de 17 000 unités de logement sans but lucratif. Il s'est construit seulement 275 logements locatifs à Toronto l'année dernière, face à une demande prévue de 2000 unités.5 Le taux de vacance à Toronto n'atteint pas 1 %. La demande excédentaire a propulsé les loyers à la hausse, mis en danger des milliers de familles qui se retrouvent à un chèque de paye près de l'itinérance. Cette tendance se répète partout au Canada.6
Nous avons besoin d'une stratégie nationale coordonnée afin de fournir des logements abordables à la population canadienne. L'hospitalisation des itinérants est une solution anachronique coûteuse qui, contrairement à la tasse de café appréciée, n'a pas résisté à l'épreuve du temps. — JAMC