Au moment où le président américain Barack Obama entre en fonction en ce jour historique, nous voulons lui rappeler les propos qu'il tenait récemment : «Il est profondément dans l'intérêt de l'Amérique et du monde que la planète soit libre de toute arme nucléaire. Il nous incombe de prendre un tel engagement et de faire le travail difficile qui s'impose pour concrétiser cette vision1.»
La Guerre froide est terminée, mais la menace de guerre nucléaire n'est pas disparue. Les progrès sont minces depuis 1989, année de l'effondrement du Mur de Berlin. La menace d'annihilation nucléaire a en fait pris de l'ampleur. En 1972, lorsque 5 pays nucléarisés (France, Grande-Bretagne, Chine, Russie et États-Unis) ont signé le Traité de non-prolifération, ils ont convenu de se désarmer rapidement. Or, ils ont fait le contraire. Même si le président George H.W. Bush a retiré unilatéralement certaines armes tactiques de l'Europe, le président Bill Clinton a omis d'amorcer des négociations en vue de l'élimination complète des arsenaux nucléaires des superpuissances. Israël, l'Inde et le Pakistan, qui ne sont pas parties au traité, ont maintenant des armes nucléaires et d'autres pays redoublent d'efforts pour en produire à partir d'uranium enrichi ou de plutonium provenant de leurs réacteurs nucléaires.
Il existe de 25 000 à 30 000 armes nucléaires dans le monde. Les États-Unis et la Russie en possèdent 97 %2. Ensemble, les États-Unis et la Russie gardent actuellement de 2581 à 4309 bombes à hydrogène sur un pied d'alerte et ni l'un ni l'autre n'a rejeté une politique de lancement sur alerte. Les Russes ont raison d'être paranoïaques à cet égard parce que leurs systèmes de préalerte sont sérieusement désuets et que leur capacité de repérer rapidement une attaque américaine serait limitée.
L'Inde détient quelque 65 armes nucléaires et le Pakistan en a une cinquantaine2. L'appui du Pakistan aux Talibans suscite des craintes crédibles de voir des extrémistes avoir accès au matériel nucléaire pakistanais, surtout pendant la période d'instabilité politique que nous vivons depuis peu. Un conflit nucléaire restreint entre le Pakistan et l'Inde pourrait déclencher un échange nucléaire de plus grande envergure mettant en cause d'autres pays au cours de la confusion totale et de l'anxiété internationale qu'une telle situation engendrerait. Le 11 septembre, par exemple, l'inquiétude était telle que les codes d'alerte nucléaire des États-Unis sont passés des niveaux DEFCON 5 à DEFCON 3, deuxième état d'alerte le plus élevé avant que le code de lancement devienne utilisable.
Une guerre nucléaire peut être déclenchée par accident, par une erreur d'ordinateur ou une erreur humaine, ou à dessein, soit par un pays, un groupe terroriste ou un état renégat. On l'a échappé belle à de nombreuses reprises3. Cependant, comme la Guerre froide est terminée, les politiciens n'en parlent pas. C'est pourquoi on s'est abandonné à un état confortable d'engourdissement psychologique ou d'ignorance.
Il s'agit pourtant de l'enjeu ultime en santé publique. Une fois lancées, les armes nucléaires prendraient de 12 à 30 minutes pour atteindre leur cible, période pendant laquelle le commandant en chef du pays «attaqué» disposerait de 3 minutes pour décider de répliquer. L'événement serait terminé en une heure4. L'arsenal nucléaire actuel demeure plus que suffisant pour provoquer un hiver nucléaire et mettre fin à presque toute vie sur Terre. Même une guerre nucléaire entre l'Inde et le Pakistan, où l'on utiliserait moins de 0,3 % de l'arsenal nucléaire actuel, pourrait provoquer des changements climatiques sans précédent dans l'histoire humaine5. De plus, les armes nucléaires ont coûté aux contribuables américains plus de 5,8 billions de dollars6. Cette somme pharamineuse aurait pu servir plutôt à faire disparaître de la planète la faim et les maladies évitables.
Les médecins sont des chefs de file puissants et crédibles dans la société. Nous avons piloté au cours des années 1980 le mouvement contre les armes nucléaires en faisant connaître les conséquences médicales de la guerre nucléaire. D'autres organisations professionnelles ont emboîté le pas et 5 ans plus tard, 80 % des Américains qui n'étaient pas conscients du danger auparavant s'opposaient à la guerre nucléaire. Nous devons une fois de plus mobiliser nos collègues pour piloter un mouvement mondial massif en faveur de l'abolition des armes nucléaires : c'est la forme ultime de médecine préventive. Les propos du président Obama signalent une nouvelle occasion cruciale. Il a besoin de notre aide dans cette noble poursuite.
Footnotes
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La Dre Caldicott est auteure de l'ouvrage intitulé If you love this planet.
Traduit par le Service de traduction de l'AMC.
Avec l'équipe de rédaction de l'éditorial (Paul C. Hébert MD MHSc, Matthew B. Stanbrook MD PhD, Barbara Sibbald BJ, Ken Flegel MDCM MSc, Noni MacDonald MD MSc and Amir Attaran LLB DPhil)
Intérêts concurrents : Voir www.cmaj.ca/misc/edboard.shtml pour les déclarations de l'équipe de rédaction de l'éditorial. Aucuns déclarés pour Helen Caldicott.