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La faim. Elle est difficile à diagnostiquer au Canada, mais elle demeure un déterminant omniprésent de la santé pour des milliers de personnes, partout au pays. Chaque mois, quelque 753 000 Canadiens dépendent des banques d'aliments pour soulager leur faim ou atténuer leur sous-alimentation1. Malgré tout, à Toronto, 50 % des utilisateurs des banques d'aliments ont faim à un moment donné au cours du mois : c'est plus souvent qu'il y a une décennie2.
La plupart des Canadiens qui manquent de nourriture ont honte de l'avouer et les 90 % qui ne sont pas touchés au cours de toute année donnée ont du mal à comprendre qu'on puisse avoir faim au Canada3. Même la privation de nourriture de courte durée peut avoir un effet sur le développement physique et mental des jeunes enfants, qui comptent en nombres disproportionnés parmi les Canadiens affamés (41 % comparativement à 25 % dans la population en général)1. Sans compter que le tourment psychologique du manque de nourriture touche tant les enfants que les adultes. Malheureusement, on ne connaît guère, dans le contexte canadien, l'importance du lien entre la faim chronique ou épisodique et la morbidité. La plupart des données ne permettent pas d'établir une distinction facile entre la cause et l'effet de la surreprésentation des personnes malades et handicapées chez les très pauvres.
On comprend toutefois intuitivement l'impératif moral de reconnaître la faim comme un des problèmes de santé les plus évitables et les plus importants auxquels fait face la société canadienne. Depuis plus de 25 ans, les banques d'aliments constituent la principale réponse à la faim dans la plupart de nos villes, grandes et petites. Beaucoup de banques d'aliments qui devaient être temporaires ont survécu aux récessions à l'origine de leur création et ont été forcées d'acquérir les signes extérieurs de la permanence comme des camions, des entrepôts, du personnel rémunéré et des bénévoles, et de recevoir des dons de biens et de services. Les banques d'aliments sont de facto des organismes de secours dans un pays sans problème d'approvisionnement.
Un pays plus ambitieux n'accepterait pas une telle situation. Si nous imaginions le Canada affamé comme une ville de 750 000 habitants, ce serait la septième plus grande du pays, tout juste avant Québec. Si cette ville était aux prises avec des feux de forêt ou des inondations, nous nous précipiterions non seulement pour l'aider, mais aussi pour aider les gens à reconstruire et à continuer à vivre. Nous ne les laisserions pas vulnérables pendant des années.
Au cours de la saison des Fêtes, nos tables crouleront sous la bonne bouffe. Pendant quelques jours éphémères, et peut-être même toute la semaine qui précède le 25 décembre, les lignes téléphoniques des banques alimentaires demeureront silencieuses, car l'offre réussira à satisfaire à la demande. C'est toutefois au cours de la semaine suivante — celle des résolutions du nouvel an — que les Canadiens consciencieux devraient viser une amélioration durable.
La rupture des familles, la maladie, les blessures, le chômage, le manque d'instruction, le coût exorbitant du logement et l'immigration récente ne jetaient pas auparavant dans un purgatoire nutritionnel tant de Canadiens.
Notre génération de Canadiens peut décider d'avoir un pays où la faim n'existe plus. Mais cela ne pourra se produire que lorsque nous cesserons de compter uniquement sur les efforts considérables des personnes touchées et des organismes d'aide et que nous cesserons de blâmer les gens affamés. Ceux qui souffrent de privations n'ont pas à avoir honte. Ce sont ceux d'entre nous qui mangeons à notre faim tout en acceptant cet écart qui devons avoir honte.
La solution du problème de la faim passe par deux principes clés. D'abord, les enfants ne devraient jamais avoir faim. Une nouvelle prestation nationale pour enfant adéquate, protégée contre la récupération et envoyée directement aux parents constituerait un premier pas important dans cette voie. Deuxièmement, chaque citoyen a le droit de participer dans la société. Il faudrait ainsi fournir à tout adulte désavantagé une chance équitable d'avancement. Il faut lier les programmes financiers aux coûts réels des besoins fondamentaux dans nos communautés. Des programmes opportuns de transition «de deuxième chance» doivent relier les efforts de lutte contre la faim à de nouvelles initiatives de lutte contre la pauvreté en éducation, de mentorat, de services de garderie et d'incitatifs à l'emploi, faisant ainsi jouer le puissant désir des gens d'aller de l'avant.
Toutefois, rien de tout cela ne se produira si les Canadiens ne l'exigent pas. Aucun groupe ne pourrait être mieux placé que les médecins du Canada pour lancer une campagne visant à éradiquer la faim. Généralement, plus de la moitié des adultes qui ont recours aux banques d'aliments sont handicapés ou sérieusement malades2. Cela signifie que comme médecins, vous pouvez reconnaître le visage de la faim et en faire rapport. Si vous le choisissez, vous-même et d'autres médecins, mettant à contribution le poids collectif considérable de l'Association médicale canadienne, pouvez catalyser l'intervention décisive qui s'impose depuis longtemps au bénéfice de certains de vos patients et de vos concitoyens les plus nécessiteux.
Le Canada sera plus fort lorsque nous vaincrons la faim chez nous. Une meilleure population active, des coûts de santé moindres, beaucoup moins de souffrances — il faut considérer tout cela comme le meilleur cadeau que vous puissiez donner au cours de cette saison des Fêtes.