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Lorsqu'un séisme titanesque a fait déferler une vague mortelle vers onze pays riverains de l'océan Indien, une vague d'une autre sorte a balayé des pays ayant échappé à cette catastrophe. Les secteurs privé, corporatif et public ont versé ensemble une somme phénoménale pour l'aide de secours à la suite du tsunami. Le 5 janvier, les engagements et les dons des Canadiens avaient dépassé les 70 millions de dollars et un organisme — Médecins Sans Frontières — a déclaré aux donateurs qu'il avait assez d'argent pour réaliser ses plans immédiats de secours. Les origines de cette réponse sont nombreuses : l'esprit humanitaire pur et simple, l'envergure terrible d'un événement qui a fait vaciller la Terre, la disparition de paradis touristiques bien connus, la magnanimité postprandiale de la semaine du lendemain de Noël, pour certains, la perte de proches et d'amis à l'étranger, sans oublier un peu de volonté diplomatique de faire mieux que les autres. L'exposition dans les médias a certainement joué un rôle clé dans le déclenchement de cette philanthropie : le nombre renversant de victimes, les analyses scientifiques (la fascination de ce mécanisme géologique de destruction massive), les clips vidéos, les témoignages de survivants et les photographies des victimes, les bras levés contre la mort.
La couverture de l'événement a présenté énormément de chiffres : 9,0 sur l'échelle de Richter; le nombre des victimes qui augmente de dizaines de milliers tous les jours; le nombre d'heures pendant lesquelles le tsunami s'est déplacé vers chaque rive condamnée (et l'absence tragique de capacité d'avertissement); les comparaisons ahurissantes avec d'autres «catastrophes parmi les plus graves» (comme le total estimatif de 600 000 victimes du tremblement de terre de 1976 qui a frappé Tangshan, en Chine, maintenant disparu de la mémoire collective de l'Ouest). Sans oublier le total cumulatif des dons. Sans oublier le total cumulatif des dons. Après avoir connu un faux départ à 1 millions de dollars, la réponse officielle du Canada a atteint 425 millions lorsqu'on a pris conscience de l'énormité de la catastrophe. Aucun organisme gouvernemental ni aucune ONG n'a besoin de se faire rappeler qu'après la disparition des premières vagues de choc et de sympathie, l'aide financière et matérielle aux régions dévastées devra continuer pendant des années encore. Quand l'épuisement de l'aide commencera-t-il à se faire sentir? Les victimes du séisme qui a frappé Bam, en Iran, et a fait 26 000 victimes le lendemain de Noël 2003, vivent toujours sous la tente, en attendant les fonds de secours promis.
Il y a ensuite les statistiques plus discrètes. Selon un rapport publié par ONUSIDA en décembre, «le nombre de personnes vivant avec le VIH dans le monde a atteint son niveau le plus élevé : on l'estime à 39,4 millions de personnes par rapport à un total estimé à 36,6 millions en 20021». Parmi les personnes infectées, 7,1 millions vivent en Asie du Sud et du Sud-Est. La pandémie est en train de s'implanter en Europe de l'Est et en Asie, où l'utilisation de drogues injectables est aussi à la hausse. Même si ONUSIDA signale aussi que «les dépenses mondiales consacrées au sida ont triplé depuis 2001, passant de 2,1 milliards de dollars en 2001 à 6,1 milliards de dollars en 20042», dans les pays à revenu faible et moyen, moins d'une personne sur cinq a accès à des services de prévention de l'infection par le VIH. Entre 5 et 6 millions de personnes infectées ne peuvent se faire traiter. «Si le nombre de personnes sous traitement a plus que doublé, moins de 10 % des personnes qui ont besoin d'un traitement, principalement en Afrique subsaharienne, en bénéficient.2»
C'est pourquoi le directeur de l'OMS, le Dr Lee Jong-Wook, parle du besoin de «revigorer» les efforts de prévention et de traitement du VIH. Cette pandémie constitue une catastrophe mondiale et nous devons prévenir l'épuisement des donneurs — ainsi que «l'épuisement rédactionnel» des services de nouvelles qui passent à autre chose une fois la valeur choc passée. Des conglomérats médiatiques abandonnent les reportages internationaux, ferment leurs bureaux à l'étranger et réduisent leurs effectifs en pensant que les auditoires occidentaux ne portent pas un intérêt fiable à ce qui se passe à l'autre bout du monde, sauf au beau milieu d'une nouvelle catastrophe.
Le pouvoir d'Internet constitue une contre-tendance à l'aspect commercial et spectaculaire de la couverture par les grandes entreprises médiatiques. Nous avons reçu cette semaine une copie de messages électroniques d'un spécialiste canadien du sida qui travaille temporairement au Lesotho. Philip Berger décrit «l'intensité de la maladie et l'insuffisance de l'infrastructure» dans un pays dont le sida menace l'existence même et nous rappelle que si l'on «traduisait à l'échelle du Canada l'épidémie d'infection par le VIH au Lesotho, cela signifierait que 5,25 millions des 15 à 19 ans et 350 000 personnes de moins de 14 ans seraient infectées par le VIH». Si nous laissons ces statistiques précises nous pénétrer, nous n'oublierons peut-être pas l'urgence chronique que constitue le sida et nous redoublerons peut-être nos efforts de secours.
Quelques semaines à peine avant la catastrophe en Asie du Sud, l'administration Bush a annoncé des réductions de l'aide alimentaire internationale, ce qui est ironique. Le gouvernement du Canada n'a jamais réussi à verser les 0,7 % d'aide internationale que nous avons promis à l'ONU en 2001. Le manque de système d'avertissement de tsunami dans l'océan Indien découle «d'années d'investissements insuffisants dans l'infrastructure scientifique et technique nécessaire pour réduire la vulnérabilité des pays en développement aux (…) calamités3». Il ne faut pas confondre les secours en cas de catastrophe, aussi généreux soient-ils, et l'aide au développement durable à long terme nécessaire dans des centaines de pays du monde. — JAMC