La décision qu'ont prise les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) de n'accepter aucun nouveau candidat pour les 2 programmes destinés aux chercheurs chevronnés a sonné l'alarme dans les milieux de la recherche médicale. Pour le monde universitaire (voir le commentaire d'Eliot Phillipson [page 568]1), ce bâton dans les roues menace non seulement de ralentir l'appareil de la recherche en santé au Canada, mais de l'enrayer. Le président des IRSC, Alan Bernstein (voir page 567)2, justifie la décision en soutenant que le budget actuel des IRSC ne comporte plus aucune marge de manœuvre et qu'il existe d'autres sources de financement pour les chercheurs d'expérience, notamment le programme des chaires de recherche du Canada (CRC) d'un milliard de dollars lancé en 2000.
La décision des IRSC n'aura pas d'effet sur les subventions de formation ou le financement de démarrage de carrière, mais elle obligera de nombreux chercheurs établis à chercher de l'aide salariale ailleurs. Personne ne conteste la nécessité de l'aide salariale pour permettre aux chercheurs de consacrer la majeure partie de leur temps à la recherche. Ce qui est moins clair, c'est si le programme CRC peut répondre au besoin créé par les compressions imposées par les IRSC. Dans notre section sur les actualités, Allison Gandey présente un reportage sur cette controverse et décrit certaines des contraintes financières (voir page 592)3. Il est toutefois difficile de brosser un tableau complet de l'état du financement de la recherche en santé au Canada. Un tel tableau inclurait les subventions que les universités reçoivent des ministères provinciaux de l'Éducation et qui servent aux travaux de construction, à l'achat d'équipement, aux bibliothèques et, ce qui est important, à l'aide salariale versée aux enseignants qui font aussi de la recherche. La majeure partie de cette aide salariale est réservée aux enseignants en sciences fondamentales et non aux scientifiques cliniciens que l'on juge à tort autosuffisants grâce à leur revenu de clinicien. Un tableau complet inclurait aussi le financement provenant de fondations privées (habituellement destiné à la recherche sur une maladie ou un problème précis), de l'industrie (pour la recherche sur un produit) et d'un partenariat établi entre l'industrie et les IRSC dans le cas de la recherche pharmaceutique.
Il faut envisager la décision des IRSC de cesser de financer les chercheurs de carrière établis devant la toile de fond que constitue cette mosaïque floue d'autres sources de financement.
Il est malheureux que la décision ait été prise 3 mois à peine avant la date limite de présentation des demandes. Les candidats éventuels au concours de l'automne craignent que la perte d'un salaire ne mette en danger leurs projets en cours — et leurs possibilités de carrière. Il y a encore pire : cette décision précipitée fait passer à tous les scientifiques du secteur de la santé un message indiquant que l'appui à la recherche est fragile au Canada. Les scientifiques cliniciens de la prochaine génération peuvent très bien remettre en question leur choix de carrière.
Les IRSC justifient en partie leur décision en rejetant le blâme sur «un changement imminent à la tête du gouvernement [qui pourrait retarder] le dépôt du prochain budget fédéral. À cause de cette incertitude, les IRSC doivent tenir pour acquis … que leur budget pour l'exercice 2004-2005 sera le même qu'en 2003-2004»4. Comme le gouvernement libéral sans gouvernail ne donne aucune indication claire du financement du prochain exercice, les IRSC prévoient disposer de 70 millions de dollars de fonds non engagés l'année prochaine — soit 100 millions de moins que l'année dernière. Cet écart a suffi pour inciter les instituts à éliminer le programme, déjà vulnérable, de bourses aux chercheurs chevronnés.
Nous exhortons le conseil d'administration des IRSC à revoir sa décision le plus tôt possible. Nous exhortons aussi la ministre de la Santé Anne McLellan — dont le gouvernement, il faut le reconnaÎtre, a affecté des fonds sans précédent à la recherche — à agir maintenant pour garantir que les IRSC recevront, pour 2003–2004, une augmentation prévue et des plus nécessaires de leur budget. Le gouvernement pourra ainsi confirmer qu'il est déterminé à appuyer l'excellence en recherche sur la santé, en dépit de soubresauts mineurs dans le panorama politique fédéral.
Compte tenu de la rareté de renseignements cohérents sur le financement des carrières en recherche dans le domaine de la santé, il serait prudent pour les IRSC d'établir un groupe d'experts constitué de représentants des gouvernements, des universités, des instituts de recherche, de l'industrie et des fondations afin de déterminer exactement l'appui financier disponible pour les chercheurs de carrière, s'il suffit et s'il est durable à long terme. Y a-t-il suffisamment d'argent ou non pour appuyer la masse critique de chercheurs de carrière nécessaire afin de réaliser des progrès solides en recherche sur la santé? Nous devons le savoir avant de perdre l'année prochaine encore d'autres talents parmi les meilleurs et les plus brillants. — JAMC