Il fut une époque, heureusement révolue, où la médecine était un club bien confortable dont les membres relativement nantis gagnaient leur cognac et leurs cigares en servant les riches, apaisaient leur conscience sociale en s'occupant des pauvres et assuraient la continuité en enseignant gratuitement à de jeunes médecins. De nos jours, la bouteille de cognac est vide, les cigares sont éteints et les étudiants sont abandonnés à leurs «objectifs d'apprentissage personnel». Les syndicats de médecins, aussi appelés associations professionnelles, ont remplacé les clubs de médecins. Les soins de santé se sont réifiés. La formation en médecine aussi. Les médecins qui enseignent la médecine clinique en contrepartie de nominations à des postes de prestige estiment maintenant que ces témoignages symboliques n'ont pas après tout une si grande valeur. Les coûts plus élevés des enseignants et un virage vers la droite politique ont obligé les universités à transmettre les coûts aux étudiants, que les banques talonnent maintenant1. La médecine menace de redevenir un club exclusif2,3. Pour aggraver les choses, l'apprentissage dure désormais plus longtemps : une année obligatoire de plus au début et, dans la plupart des sous-spécialités, une autre année ou plus à la fin.
En dépit de tout cela, l'apprentissage fleurit toujours – si c'est le mot qu'il faut employer – dans la confrérie médicale. Chaque année, un nouveaux groupe de diplômés en médecine attend les résultats fatidiques du jumelage : sera-ce la dermatologie à Winnipeg ou la médecine familiale à Vancouver? Quelle que soit le sorte qui leur est réservé, les conditions ne sont pas négociables. Il s'agit d'une bizarre foire de l'emploi capable d'exister seulement dans un créneau de marché qui, comme la médecine, baigne dans la mystique du privilège et de la responsabilité.
La mystique s'estompe toutefois et les résidents en médecine évaluent leur situation en fonction des normes du monde commercialisé. Paul Jung, fellow à Johns Hopkins, a intenté avec d'autres intéressés un recours collectif pour le compte de quelque 200 000 résidents des États-Unis en soutenant que le National Residency Matching Program enfreint les lois antitrust4 (voir aussi page 1579).
Ils ont un argument valable. Leurs salaires et leurs conditions de travail sont uniformes d'un bout à l'autre du pays – à dessein, semble-t-il. Dans quel autre secteur professionnel tolérerait-on un tel manque de concurrence – ainsi que des heures de travail excessives et une rémunération insuffisante? L'argument selon lequel la résidence n'est pas exactement un emploi, mais plutôt une période de formation, commence à ne plus tenir : le perfectionnement professionnel continu fait obligatoirement partie intégrante de bien des emplois.
Si la poursuite en justice porte fruit et si les salaires des internes et des résidents grimpent à leur valeur marchande de plus de 100 000 $US, les coûts des soins de santé outre-frontière pourraient augmenter de 12 milliards de dollars US4. Les enjeux dépassent toutefois les questions d'argent – les conditions de travail et le mode de vie, par exemple, prennent de plus en plus d'importance et «la féminisation» (il faut lire l'humanisation) de la médecine n'en est pas la moindre cause.
Que signifierait toutefois un libre marché de la résidence médicale? La concurrence produira-t-elle de meilleures conditions de travail ou stratifiera-t-elle la résidence en médecine à mesure que les établissements nantis écrémeront les meilleurs talents tandis que la qualité de l'apprentissage – et des soins aux patients – languira ailleurs? Que se passera-t-il si la résidence devient moins professionnelle et marquée davantage par l'entrepreneuriat? Quel que soit le jugement des tribunaux, la formation médicale postdoctorale ne sera pas facile à moderniser. — JAMC