Pendant les débats en cours sur la réforme du système de santé, deux types d'affirmations s'arrachent l'attention, soit les faits que l'on revendique et les actes de foi. Fait : le taux actuel d'augmentation des coûts des soins de santé n'est pas viable. Acte de foi : notre système de soins de santé a besoin d'être «rénové et non démoli»1. On a mobilisé plus de données probantes pour servir avec pessimisme la réalité plutôt que la foi. Peu importe, affirment les défenseurs de l'assurance-maladie : le moment est venu de remettre de l'ordre dans nos valeurs.
En consultant le pays au sujet des faits et des valeurs, Roy Romanow n'a pas manqué d'insister sur ces dernières. La tenue impeccable de son rapport intérimaire – sa formulation inclusive, sa présentation marquée par le respect des grands courants de l'opinion publique – calme notre inquiétude face aux changements imparfaits à venir de notre système imparfait. Nous espérons implicitement qu'en polissant nos valeurs comme il se doit, nous les protégerons contre la souillure de la nécessité économique. Nous porterons quand même nos bonnes vieilles chaussures confortables – soit celle de l'accessibilité à gauche et celle de la transférabilité à droite – en nous dirigeant vers la clinique privée financée et réglementée par le secteur public.
Il y a toutefois une dissonance troublante entre les valeurs et la réforme. Il fut un temps où la «réforme» portait sur la transformation de la société et non sur la restructuration budgétaire. On entendait par «réforme» des questions comme de meilleures conditions de travail pour les pauvres et l'élargissement du droit de vote. La réforme est maintenant teintée de préoccupations postindustrielles comme le choix des consommateurs et la responsabilité des fournisseurs. Même si ces concepts sous- entendent une certaine idée des biens sociaux, la terminologie qui domine la réforme est celle du marché, de l'efficience et de l'efficacité des coûts, de la discipline de la concurrence. C'est une terminologie des voies et moyens qui a l'habitude de se cacher derrière celle des fins recherchées2.
On nous affirme que l'efficience n'est pas simplement un objectif à viser, mais aussi une valeur canadienne3. Voilà qui est plutôt curieux. L'efficience est aussi très prisée dans les dystopies d'Orwell et de Huxley. Or, l'efficience n'est pas nécessairement l'alliée de l'équité2, même si elle vise à allonger davantage des ressources limitées. Le choix est une autre de ces valeurs. Pourquoi s'opposerait-on aux mérites du choix – sauf si l'on considère que choix rime souvent avec privilège. Frais d'utilisation, services privatisés, comptes d'épargne médicale : tous ces mécanismes peuvent augmenter les choix – pour ceux qui en ont les moyens. Le problème, c'est que les soins de santé constituent une institution si complexe et si inexorablement humaine que toute tentative visant à en «rationaliser» quelque aspect a des conséquences imprévues.
Que visons-nous par la réforme de l'assurance-maladie? Plus d'efficience? Plus de compassion? Plus d'imputabilité? Plus de choix? Nous avons demandé à des personnalités canadiennes de vocations et d'idéologies diverses de réfléchir aux moyens et aux fins de la réforme des soins de santé. Comment notre société peut-elle parvenir à la santé, dans son sens le plus large? Dans ces articles, certains parleront d'objectifs, d'autres, de démarches, et d'autres encore, de gouvernance, comme Steven Lewis dans le présent numéro4 (page 1421). Ces textes portent inévitablement aussi sur les valeurs – anciennes, nouvelles, dignes de confiance ou perfides. Nous laissons les lecteurs y mettre de l'ordre. — JAMC