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Un des faits les plus importants au sujet de l'épidémie mondiale de sida qui sévit en 2005, c'est que 10 % des nouvelles infections par le VIH sont maintenant reliées à l'usage de drogues injectables illicites. Sauf en Afrique, le partage d'une aiguille contaminée cause au moins une nouvelle infection sur trois. Dans la plupart des cas, les épidémies enracinées en Russie, en Chine, en Malaisie, en Ukraine et au Vietnam sont reliées à l'usage de drogues injectables, qui cause la plupart des cas d'infection au Tadjikistan, au Kazakhstan, en Ouzbékistan, en Iran, en Indonésie et au Népal. C'est aussi la principale voie de transmission dans la plupart des pays de l'Europe de l'Ouest et de l'Est, en Afrique du Nord et au Moyen-Orient1.
Comme on estime à 13 millions le total des usagers de drogues injectables (UDI) dans le monde, le problème est d'autant plus urgent. Ainsi que le signalent les auteurs d'un rapport présenté au Projet du millénaire des Nations Unies, «les épidémies causées par les injections (…) se distinguent par la rapidité extrême de leur propagation1». Les taux d'infection qui grimpent en flèche chez les UDI découlent en grande partie d'une politique antidrogue axée sur l'application de la loi qui aggrave l'isolement social des utilisateurs et nuit aux stratégies de réduction des préjudices comme l'échange d'aiguilles et la thérapie de substitution aux opiacés. Dans certains contextes, les effets paradoxaux de la «guerre à la drogue» sont encore plus complexes : «Les efforts d'application de la loi qui limitent les approvisionnements en opium poussent les usagers à se tourner vers l'héroïne, ou à passer de l'inhalation à l'injection. La criminalisation de la possession d'aiguilles encou-rage l'utilisation de piqueries ou de matériel d'injection contaminé1». Dans beaucoup de pays, les prisons et les centres de traitement où sont incarcérés les UDI sont eux-mêmes le lieu de trafic de drogues, de partage d'aiguilles et de relations sexuelles non protégées, et on y rejette les mesures de réduction des préjudices en affirmant qu'elles entérinent les comportements criminels.
L'accès généralement médiocre aux thérapies aux antirétroviraux (ARV) chez les UDI, même dans les pays industrialisés, alourdit encore ce sombre bilan. L'initiative «3 millions d'ici 2005» de l'OMS, qui vise à offrir une thérapie aux ARV à 3 millions de personnes d'ici la fin de 2005, a porté de 440 000 à 700 000 le nombre des bénéfi-ciaires, mais ce total représente 12 % seulement de ceux et celles qui en ont besoin. Même si l'OMS a affirmé que la thérapie aux ARV devait être mise à la disposition de tous, des administrations signalent qu'aucun des bénéficiaires de cette thérapie n'est un UDI2. (Le Brésil, où un programme intégré de réduction des préjudices et d'accès aux drogues a réduit de 50 % le taux de mortalité attribuable au sida chez les UDI, constitue une exception digne de mention.)
Comme Richard Elliott et ses collaborateurs en discutent dans ce numéro (voir page 655)3, une stratégie de lutte contre le VIH chez les UDI qui est axée sur la réduction des préjudices est contraire à la perspective dominante du contrôle international des drogues par l'application de la loi et la criminalisation des comportements liés à l'usage de drogues illicites. La Convention des Nations Unies sur le contrôle des drogues formule des vœux pieux sur le traitement et la réadaptation, mais la libéralisation des politiques antidrogue et les efforts déployés pour remplacer (ou du moins compléter) les politiques d'application de la loi qui ne réussissent pas par des stratégies de réduction des préjudices ont progressé à la vitesse de l'escargot.
Elliott et ses collaborateurs défendent un virage limité mais important pour des raisons à la fois pragmatiques et liées aux droits de la personne : ils préconisent de promouvoir pour les UDI l'accès aux soins médicaux en ajoutant des substituts à la Liste de médicaments essentiels de l'OMS. En 1977, l'OMS a publié la première de ces listes : elle contenait 208 agents thérapeutiques jugés les plus efficaces, rentables et sécuritaires disponibles contre la majorité des maladies infectieuses et chroniques, soit la trousse d'outils pharmacologiques dont a besoin tout système de santé qui espère répondre aux besoins fondamentaux de sa population en matière de soins de santé et respecter ses droits en la matière. Du 7 au 11 mars, le Comité des Nations Unies sur la sélection et l'utilisation des médicaments essentiels étudiera des demandes de modifications de la liste et notamment l'ajout proposé de la méthadone et de la buprénorphine, substituts d'opiacés. Nous espérons que l'inclusion de substituts des opiacés à la pharmacopée approuvée par l'OMS arrivera au bon moment pour appuyer l'établissement et la généralisation de programmes de traitement des toxicomanies et aidera ainsi plus d'UDI à adhérer à des programmes de traitement et de prévention du VIH. — JAMC