Le New England Journal of Medicine a publié récemment les résultats d'une étude clinique portant sur neuf patients atteints de cancer du poumon non à petites cellules et qui ont réagi au gefitinib1. Neuf patients? Quelle importance une telle étude peut-elle avoir?
La recherche émane d'un domaine actif d'investigation portant sur les mécanismes de régulation de la prolifération et de la croissance des cellules. Le gefitinib fait partie d'une nouvelle génération d'agents chimiothérapeutiques qui visent des cibles moléculaires précises — en l'occurrence le récepteur du facteur de croissance épidermique, récepteur génétiquement modulé qui, une fois stimulé, favorise la prolifération cellulaire2.
Les premières études cliniques portant sur le gefitinib combiné à une chimiothérapie n'ont révélé aucun avantage supplémentaire du gefitinib pour les patients atteints de cancer du poumon non à petites cellules au stade avancé. Les résultats ont toutefois été très variables : les patients du Japon présentaient des taux de réponse plus élevés que les Européens, et chez les patients américains, les femmes, les non-fumeurs et les patients atteints d'un adénocarcinome étaient plus susceptibles de répondre que les hommes. Posant en hypothèse que ces différences pourraient être d'origine génétique, des scientifiques ont comparé des lignées tumorales de patients japonais et américains. Ils ont découvert dans les tumeurs des mutations somatiques à l'origine de différences dans le récepteur du facteur de croissance épidermique — et que ces différences étaient plus fréquentes chez les patients japonais, les femmes et les sujets atteints d'un adénocarcinome3.
De même, les auteurs qui ont publié un rapport dans le New England Journal of Medicine ont analysé de nouveau les résultats chez neuf patients atteints d'un cancer du poumon non à petites cellules réfractaire à la chimiothérapie et au stade avancé, qui ont répondu au gefitinib. Constatant que la mutation du récepteur du facteur de croissance épidermique était présente chez huit des sujets, ils ont conclu que «le dépistage de ces mutations dans les cas de cancer du poumon peut permettre d'identifier des patients qui répondront au gefitinib».
Le concept que représente l'étude d'un sous-ensemble restreint de patients est intrigant à notre époque des grandes études cliniques randomisées (ECR) multicentriques stratifiées. Ces études sont la pierre angulaire de la médecine factuelle. Il est toutefois question ici d'une étude par observation, non randomisée, portant sur neuf patients soigneusement sélectionnés, chez lesquels la recherche de pointe produit des résultats spectaculaires. De tels résultats nous incitent à nous demander si la médecine universitaire devrait fixer son regard ardent aussi intensément sur les grandes études cliniques stratifiées. Les méga-études servent à révéler de faibles différences au niveau des résultats chez un nombre important de patients. Or, dans le grand courant des résultats généralisables, il se peut que des résultats plus rares mais spectaculaires produits chez de petits sous-ensembles de patients soient balayés et gaspillés dans l'oubli des résultats négatifs.
Pour les chercheurs et pour l'industrie, la recherche de solutions magiques offrira toujours l'attrait de la satisfaction altruiste, du prestige et de la récompense financière. À mesure toutefois que progresseront nos connaissances sur la variabilité génétique des processus morbides, la possibilité de mettre au point des thérapies génétiquement ciblées augmentera aussi. À mesure que l'on découvrira de nouvelles molécules de contrôle de la croissance, de l'inhibition, de l'apoptose et d'autres fonctions des cellules, on mettra au point de nouveaux composés afin de bloquer ou d'appuyer ces fonctions. Par ailleurs, les stratégies de recherche clinique changeront aussi. Chaque découverte nouvelle obligera à répéter des études cliniques antérieures en se fondant sur les nouveaux renseignements pour sélectionner et stratifier des sujets d'étude. Cette obligation aura une conséquence logique (mais pas nécessairement faisable) : elle entraÎnera une prolifération d'études cliniques. Il ne faudra pas seulement évaluer de nouveaux agents : il faudra peut-être réévaluer des traitements qui ont déjà fait leurs preuves après que l'on aura exclu des patients des sous-groupes nouvellement identifiés. Il sera important aussi d'examiner, comme l'ont fait les auteurs du rapport sur le gefitinib, des sous-groupes de patients qui ont réagi au traitement de façon positive ou négative marquée. Il faudra peut-être étudier des spécimens biologiques prélevés au cours d'ECR antérieures, reclasser des patients et répéter des analyses.
Le nouveau mode de recherche soulève des problèmes d'éthique. Il se peut que des médicaments convenant à de petits sous-groupes de patients seulement — comme ceux qui présentent des mutations somatiques spécifiques — intéressent peu les fabricants4. L'abandon par l'industrie, s'il se produit, créera de plus en plus de maladies «orphelines» qui auront besoin du financement d'organismes publics et de fondations privées pour la recherche.
La médecine moléculaire soulèvera aussi des questions d'éthique pour les cliniciens. Compte tenu des résultats obtenus chez neuf patients dont le cancer du poumon non à petites cellules était auparavant intraitable, faudrait-il offrir aux patients atteints de cancer du poumon non à petites cellules nouvellement diagnostiqué ou au stade avancé de se soumettre à des tests génétiques et, peut-être, d'essayer le gefitinib? Les patients qui ont les moyens financiers (les examens et le médicament coûtent cher) chercheront probablement à obtenir ce nouveau traitement. Les gouvernements provinciaux devraient-ils le financer? Les médecins devraient-ils le recommander? Ces questions auparavant ésotériques deviennent maintenant urgentes. — JAMC