Au cours de la dernière décennie, les armes à feu ont fait environ 1200 morts et 1000 blessés par année au Canada1,2. Les blessures par balle sont la troisième cause en importance de mortalité chez les Canadiens âgés de 15 à 24 ans2. Parmi les pays industrialisés, nous nous classons cinquièmes pour l'incidence des décès par balle chez les enfants de moins de 14 ans2. On estime que les blessures et les décès par balle coûtent 6 milliards de dollars par année au Canada3.
Au cours des 30 dernières années, la plupart des pays nantis, à l'exception des États-Unis, ont adopté des programmes nationaux pour contrôler la possession et l'utilisation des armes à feu par les simples citoyens. Au Canada, ces programmes ont inclus une mesure législative adoptée en 1978 pour imposer des permis à l'achat d'armes à feu. On a resserré cette mesure en 1991 en imposant l'examen des éventuels propriétaires et des exigences supplémentaires au sujet de l'entreposage des armes. L'obligation d'enregistrer les armes à feu, qui cause tant d'agitation depuis quelque temps, a été enchâssée dans la Loi sur les armes à feu (le projet de loi 68), en 1995. Cette mesure a resserré les dispositions relatives à l'obtention de permis en imposant notamment d'autres vérifications des antécédents et dans la communauté, la notification de l'acquisition aux conjoints actuels et aux anciens conjoints et le renouvellement des certificats d'acquisition aux cinq ans. On a donné aux préposés aux armes à feu plus de pouvoirs d'enquêter sur des plaintes et d'entreprendre la révocation de permis. Le projet de loi 68 imposait l'enregistrement obligatoire de toutes les armes à feu et la création d'une base de données centralisée. Le 1er janvier 2003, date limite fixée pour l'enregistrement, environ 75 % des propriétaires avaient enregistré 5,8 millions d'armes à feu sans restriction sur un total estimé à 8 millions.
La vérificatrice générale signale dans son rapport que le gouvernement fédéral a mal géré le système d'enregistrement et qu'il a coûté des sommes renversantes aux contribuables, ce qui a incité certains intervenants à en préconiser le démantèlement. Ce serait une grave erreur. L'enregistrement est un élément clé de la stratégie visant à réduire la mortalité et la morbidité causées par la mauvaise utilisation d'armes à feu appartenant à des particuliers et par le commerce illégal.
La raison et des données probantes appuient cette affirmation. Comme l'a signalé David Griffin, directeur général de l'Association canadienne des policiers, dans l'exposé qu'il a présenté au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles4, la délivrance de permis et l'enregistrement des armes à feu «découragent la possession d'armes à feu sans but précis» et «a effectivement permis d'éviter que des armes à feu ne tombent entre les mains de personnes qui ne devraient pas en posséder». À la suite de l'adoption de la mesure législative, M. Griffin a signalé que l'on a remis à la police des «dizaines de milliers» d'armes à feu indésirables, inutilisées et inutiles.
Quatre-vingt pour cent des décès par balle découlent d'un suicide et 15 %, d'un homicide, alors que 4 % sont classés comme des «accidents»1. Il est sensé d'alléger ce bilan en contrôlant l'accès aux armes à feu, particulièrement pour quiconque est susceptible de les utiliser de façon irrationnelle ou à des fins criminelles. C'est aussi une stratégie de longue date en matière de santé publique.
Ce que le registre ajoute au contrôle des armes à feu, c'est qu'il établit un lien entre l'arme et le propriétaire. Comme le registre rend le propriétaire responsable de certaines armes à feu, celui-ci est plus susceptible de les entreposer en sécurité. Ce qui réduit les risques que des enfants, des personnes atteintes d'une maladie mentale, toxicomanes ou alcooliques, ou qui ont des différends personnels, utilisent une arme à feu. Cette mesure réduit aussi le risque de vol. On échange de plus en plus des armes à feu volées contre des drogues ou on les vend sur la scène internationale à des marchands d'armes illégaux5. Les pays qui ont imposé la délivrance de permis, l'enregistrement et d'autres mesures de contrôle signalent que les criminels ont moins d'armes à feu à leur disposition6. Aussi, ce qui est important, c'est que l'enregistrement donne aux services policiers les renseignements voulus pour appliquer les ordonnances d'interdiction de possession d'armes à feu et reconnaÎtre les risques dans des situations volatiles, par exemple des cas de violence conjugale.
Il n'y aura jamais de preuve irréfutable démontrant qu'une loi ou une politique publique a eu à elle seule l'effet désiré. Même s'ils n'acceptent pas une loi, la plupart des citoyens la respectent toutefois. Notre législation sur le contrôle des armes à feu a encouragé les propriétaires à construire des rangements sécuritaires, à acheter et vendre légalement leurs armes, et à les enregistrer. Les lois reflètent les valeurs de la société, ce qui est aussi important. En l'occurrence, elles servent à informer le public des risques inhérents à l'accès aux armes à feu et à appuyer l'idéal de la sécurité publique, qui l'emporte sur le privilège de la propriété privée. Nous encourageons le gouvernement fédéral à maintenir le programme d'enregistrement des armes à feu et à faire le travail. — JAMC